— Duchesse ! — Baron ... — Avez -vous des nouvelles de Mgr le régent ? — Aucune depuis hier . — Cela m' inquiète sérieusement , ma pauvre duchesse ; et je crains fort ... — Ne craignez rien , baron , votre nomination doit être signée à cette heure . — Dieu vous entende , duchesse ! — Vous tenez donc bien , cher , à ce gouvernement ? — Dame ! duchesse , jugez -en vous -même . J' ai fait appeler mon intendant hier soir , et je lui ai demandé un exposé succinct et clair de mes affaires ... — Je devine , vous êtes ruiné ... — Mieux que cela , duchesse , j' ai un million de dettes et plus de crédit . — Vous ne paierez pas vos dettes , mon pauvre baron . — J' y ai déjà songé , duchesse : mais comment en ferai -je d' autres ? — Enfant ! puisque vous allez être gouverneur de la province de Normandie pour Sa Majesté le roi Louis XV . — Très bien . Mais si je ne le suis pas ? ... Et le baron , qui était encore au lit , allongea sa main fine et aristocratique vers le guéridon qui se trouvait à son chevet , y prit sa boîte d' or , et barbouilla coquettement son jabot de cette poudre jaune , qu' on nommait le tabac d' Espagne . La duchesse , assise dans un grand fauteuil à dossier rembourré , frappa le parquet du bout de sa mule à talon avec un petit air impatient , et répondit : — Savez -vous que vous êtes un impertinent , baron ? — En quoi , s' il vous plaît , duchesse ? — La question est plaisante ! Comment ! Vous doutez de mon crédit ? — Ah ! duchesse ! — Sans nul doute . Car vous supposez que vous pourriez ne pas être nommé ... — Ainsi , je puis espérer . — Sans la moindre crainte . — Et dormir sur mes deux oreilles ... — Quand je serai partie , baron . — Oh ! pas avant , duchesse . — Mon Dieu ! fit ingénument la duchesse , vous êtes si peu courtois , messieurs , depuis la mort du grand roi ... — Donnez -moi vos mains de fée , duchesse , et venez vous asseoir ici , là ... tout près . — Que vous êtes enfant ! ... — Je vais vous faire une confidence ... — Bah ! quelque intrigue nouée aux Porcherons , et dénouée ... — Nulle part , duchesse . On veut me marier ... La duchesse , qui était assise sur le bord du lit , se leva vivement , et alla se replacer dans son fauteuil avec un froncement de sourcils et un air boudeur qui flattèrent à un haut degré l' amour-propre du baron . — Ah ! dit-elle ; et ... avec quoi ? — Oh ! ne soyez point jalouse , duchesse ... Ce n' est vraiment pas la peine ... C' est une fille de traitant ... Le minois chiffonné de la duchesse s' épanouit aussitôt : — La chose serait grave si vous n' étiez Nossac , mon cher baron , dit-elle . — Mon Dieu ! fit insouciemment le baron de Nossac , car c' était lui que nous trouvons ainsi couché , je sais bien que ce serait une mésalliance ... — Une énormité ! — Mais que voulez -vous ? Les mésalliances sont de mode depuis tantôt un siècle . — Vous trouvez ? fit madame d' A ... dont le front se rembrunit et qui pâlit aussitôt . — Sans doute , duchesse , la reine Anne d' Autriche n' a-t-elle pas épousé Mazarin ? — Secrètement , baron . — D' accord ; mais qu' importe ! La Grande Mademoiselle n' a-t-elle pas épousé Lauzun , Louis XIV , la Maintenon ; Mgr le régent n' a-t-il pas semblable peccadille dans sa famille ? — Ainsi donc , fit la duchesse , qui se leva courroucée , vous auriez le courage ... — Je ne dis pas cela , duchesse , puisque vous m' obtenez un gouvernement ; mais enfin ... si je ne l' avais pas ... que diable ! mon futur beau-père aurait assez d' or ... — Pour vous faire oublier sa roture , n' est -ce pas ? Vraiment , fit la duchesse indignée , les gentilshommes s' en vont ! — Quand ils n' ont pas de gouvernement , duchesse . — Et , fit-elle en prenant un ton dédaigneux et moqueur , qui donc vous a proposé ce mariage ? — Simiane , duchesse . Il m' offre une femme jolie , spirituelle , de bonnes manières , et affligée de je ne sais combien de millions . — Acceptez -la , monsieur , fit la duchesse en se pinçant les lèvres ; je ne m' opposerai jamais à votre bonheur ... — Fi ! duchesse , la vilaine bouderie ... J' ai refusé . — Net ? demanda la duchesse avec un éclair de joie qui brilla dans ses grands yeux bleus . — À peu près ; Simiane doit revenir aujourd'hui . — Et vous refuserez encore ? — C' est selon , répondit M . de Nossac ; si j' ai mon gouvernement ... — C' est juste , dit la duchesse ; mais vous aurez votre gouvernement . — Je ne demande pas autre chose , duchesse . — Et je cours chez le duc . — Allez , duchesse . — Et vos lettres patentes vous seront expédiées dans une heure . — J' y compte , duchesse . Et sans rien perdre de son flegme , le baron de Nossac indiqua du doigt la pendule . — Je vous donne une heure de plus , duchesse , fit-il ; il est midi ; Simiane sera ici à une heure ; il y restera jusqu' à deux . — Eh bien , dit Mme d' A ... , si à deux heures vos lettres de marque ne sont point arrivées , vous aurez votre parole libre ... — Je ne vous l' ai point donnée , duchesse , mais je vous la donne . — Un moment ! s' exclama Mme d' A ... en se levant , j' exige de vous un autre serment . — Lequel ? — C' est que si vous vous mariez ... — Ah ! duchesse , vous ne l' espérez pas . — Non , sans doute ; mais peut -on tout prévoir ? Et un fin sourire plein de moquerie glissa sur les lèvres cerise de la duchesse . — Méchante ! — Si vous vous mariez , reprit-elle , vous vous engagez dès aujourd'hui à m' accorder vingt-quatre heures encore ? — Oh ! de grand cœur , ma belle amie . — Vingt-quatre heures à mon choix , bien entendu ? — Comment cela ? — C' est-à-dire qu' à l' heure où je me présenterai devant vous , de nuit ou de jour , en vous disant : « Baron , il me faut mes vingt-quatre heures » , à cette heure -là , si nous sommes dans la rue , vous monterez dans mon carrosse ; si nous sommes chez vous , vous prendrez votre feutre et votre épée , et vous me suivrez . — Et si je suis ailleurs ? — Également , baron . — Ma foi ! s' exclama M . de Nossac , je n' y vois aucun inconvénient . Duchesse , je vous donne ma parole de gentilhomme d' être votre esclave pendant vingt-quatre heures , et de vous suivre partout où vous le voudrez durant ce laps , et de vous obéir aveuglément . — À partir du jour où j' apprendrai votre mariage ? — Soit , dit le baron . Puis il ajouta : — Voici un serment bien inutile , duchesse . — Qui sait ? fit-elle en lui tendant la main . Adieu ... — Au revoir , duchesse ! La duchesse fit quelques pas vers une petite porte que masquait la tapisserie , l' ouvrit et disparut . Cette porte donnait sur un mystérieux escalier qui descendait dans les jardins , lesquels jardins se trouvaient à peu près sur le même emplacement où s' élèvent maintenant les rues de Helder et de Provence . L' hôtel où M . le baron de Nossac recevait la duchesse d' A ... , maîtresse du vieux duc de Saint-Simon , et jouissant d' une grande faveur , était , on le voit , sa petite maison . M . le baron Hector de Nossac était un jeune homme de vingt-six ans , d' excellente noblesse , de bonne tournure , d' un esprit léger , d' un courage éprouvé , et jouissant à la cour de la réputation d' homme à bonnes fortunes . Jamais réputation n' avait été plus méritée . Le baron était beau , magnifique , inconstant , joueur , querelleur , et il possédait un faible déterminé pour le tabac d' Espagne et le vin d' Aï . La duchesse du Maine l' avait affilié à l' ordre de la Mouche à miel ; il avait trempé dans la conspiration Cellamare , et Dubois l' avait fait enfermer à la Bastille . À la mort du digne cardinal , Simiane l' avait réconcilié avec le régent , et le régent lui avait donné un régiment . Une œillade de madame de Phalaris l' avait rebrouillé avec le duc d' Orléans , et le duc d' Orléans lui avait retiré son brevet . Un oncle , comme on n' en voit plus , était mort à point le lendemain de sa disgrâce , lui laissant deux cent mille livres de rentes . Le baron avait dépensé en six mois lesdites rentes et quelque chose de plus . Alors , il avait songé à se remettre bien en cour , et , pensant que pour cela il était absolument nécessaire qu' il se fît une maîtresse convenable , il avait jeté son dévolu sur la duchesse d' A ... , laquelle , au seuil de l' histoire que nous allons vous conter , était sur le point d' obtenir pour lui le gouvernement de la province de Normandie . Or , le jour où nous venons de voir le baron de Nossac causant , de son lit , avec la duchesse d' A ... , était précisément le 2 décembre 1723. Tandis que la duchesse gagnait son carrosse , qui l' attendait à la petite porte des jardins , un autre carrosse entra par la porte cochère , un gentilhomme de haute mine , quoique fort maigre , en descendit , et se fit à l' instant conduire auprès du baron . Ce gentilhomme était M . de Simiane . — Ah ! te voilà , cher , dit négligemment le baron . — Oui , répondit vivement Simiane . — Mon Dieu ! comme te voilà l' air effaré ... Que t' arrive-t-il , marquis ? D' où sors -tu ? Quelque mari de mauvaise compagnie t' aurait-il fait bâtonner par ses gens ? — Mon cher , dit Simiane , sans répondre à la question assez impertinente de Nossac , il n' est que temps de te marier . — Tant pis ! mon cher , je ne me marierai pas ; j' ai mon gouvernement . — Tu crois , baron ? — J' en suis très sûr . — Et moi , je suis sûr du contraire . Le régent n' a pas eu le temps de signer tes lettres . M . de Nossac fit un soubresaut : – Qu' est -ce que cela signifie , marquis , et que veut dire ce n' a pas eu le temps ? — Non , car le régent est mort cette nuit . Le baron poussa un cri . — Il est mort d' apoplexie . — Mais tu rêves , marquis ; c' est impossible ; la duchesse d' A ... sort d' ici , et n' en savait rien . — Il y en a bien d' autres qui ne le savent pas ... On ne le saura que demain . Et tiens , je parie qu' avant ce soir la duchesse d' A ... sera arrêtée . — Pourquoi cela , marquis ? — Parce qu' elle est l' ennemie jurée de Mme de Prie . — Eh bien ? — Ah çà ! mais d' où sors -tu , mon cher ? s' exclama Simiane . Ne sais -tu pas que la marquise de Prie est la maîtresse du duc de Bourbon ? — Oui , bien . — Alors , je vais t' apprendre autre chose : le duc de Bourbon est Premier Ministre . Le baron pâlit . — Mgr de Fréjus , continua Simiane , s' est généreusement effacé . Ce prélat tout confit n' est jamais pressé . Mais , sois tranquille , il ne perdra rien pour attendre . — En sorte que mon gouvernement ... — Fais -en ton deuil , c' est le plus sage . — Et ce mariage ? ... — Il faut y renoncer ou le conclure sur l' heure . — Pourquoi cela ? — Parce que M . Borelli , le fermier des gabelles , qui croit faire un marché d' or en te donnant sa fille aujourd'hui et a vent de ton gouvernement , se rétractera demain , quand il te saura en disgrâce . — Mais , mon cher marquis , on ne se marie point du jour au lendemain . — On se marie du soir au matin . Consens , et tu seras marié ce soir . — Vraiment ? — Je m' en charge . Je ferai entendre au bonhomme Borelli qu' il est de sa dignité de paraître te donner sa fille avec un désintéressement complet , et avant ta nomination au gouvernement de Normandie . — Bravo ! — Ainsi , je puis tout préparer ? Le baron consulta la pendule . — Attends dix minutes , dit-il . Si à deux heures mon brevet n' est pas arrivé tu auras ma parole . — Très bien . — La mort du régent ne sera donc pas connue aujourd'hui ? — Non , il y a des mesures à prendre . Tu seras marié ce soir , à minuit , et tu emmèneras ta femme , si bon te semble , dans n' importe quel château . — Du tout , je resterai à Paris . — Le mariage se fera chez le père , île Saint-Louis , sans pompe ... — Du tout , je veux une fête splendide ; je veux faire les choses en plein jour . — En pleine nuit , du moins . — Soit . Tu te chargeras des invitations . Ceux qui ne viendront pas m' indiqueront ma conduite pour l' avenir . — Oh ! sois tranquille ; les mésalliances sont assez de mode pour que tout le monde vienne . D' ailleurs ta femme est assez belle ... — Ah ! vraiment ? ... Du reste , cela m' est assez indifférent ; pour ce que j' en veux faire ... — Elle a un grand air et une beauté qui ne messiéront nulle part . Nous lui aurons un tabouret après la bourrasque . Deux heures sonnèrent , la porte s' ouvrit . — Ah ! mon Dieu ! s' écria le baron , voici mon brevet . Le baron se trompait . C' était simplement le valet de chambre du duc d' A ... qui venait l' avertir confidentiellement que la duchesse avait été arrêtée dans son carrosse , il y avait une heure , au moment où elle rentrait à son hôtel . — Pauvre duchesse ! fit le baron avec philosophie . — Que dis -tu , cher ? demanda Simiane . — Je dis , marquis , répondit flegmatiquement le baron , que tu peux tout préparer : j' épouserai ce soir Mlle Borelli . Mlle Hélène Borelli , fille du fermier des gabelles de ce nom , avait vingt-trois ans , une tête grecque , de grands yeux noirs bordés de longs cils , des yeux de velours , comme on dit ; une taille bien prise , assez haute , des mains de statue et une peau d' une blancheur éblouissante , et si mate que lorsqu' elle était immobile on l' eût volontiers prise pour une madone de marbre . À deux heures de l' après-midi , M . le baron de Nossac n' avait pas vu sa femme encore ; à quatre , il lui fut présenté ; à six , il dînait avec elle chez son beau-père futur , et à onze il montait en carrosse pour aller à Saint-Germain-l'Auxerrois , où le petit abbé de Morfrans , son cousin , célébrerait la messe de mariage . — Eh bien , demanda Simiane au baron , au moment où il conduisait sa fiancée à son carrosse , comment la trouves -tu ? — Ma foi , cher , dit le baron avec fatuité , elle est assez belle , et je crois que je l' aimerai un grand mois tout de suite . — Monsieur le baron , lui dit Hélène d' une voix douce , je désirerais fort causer dix minutes en tête-à-tête avec vous . Voudriez -vous prier votre ami , le marquis de Simiane , de monter dans le carrosse de mon père ? — Marquis , dit tout bas M . de Nossac à Simiane , c' est le premier entretien et le dernier , sans doute , que j' aurai seul à seule avec mademoiselle avant qu' elle soit ma femme ... — Je te comprends , baron ; ne te gêne pas ... Et Simiane monta près du fermier des gabelles , qui s' épanouissait dans son habit brodé d' or sur les coussins de brocart de son carrosse . Le beau monde de la ville et de la cour était prié au souper de noces chez le bonhomme Borelli , mais le marquis de Simiane avait eu le tact exquis d' inviter peu de personnes à la messe de mariage . Il n' y avait donc qu' une dizaine de carrosses à la suite de celui des futurs époux . — Monsieur le baron , dit Hélène à son mari , quand le leur s' ébranla , onze heures sonnent , nous ne serons mariés qu' à minuit . — Cette heure est un siècle , mademoiselle , répondit courtoisement le baron . — Voulez -vous me permettre un quart d' heure de conversation sérieuse ? — Je suis tout à vos ordres . — Et me répondre avec une entière franchise ? — Foi de gentilhomme ! — Eh bien , monsieur le baron , je serai franche aussi . Mon père a voulu notre mariage , par ambition et par orgueil . Moi , au contraire ... La jeune fille hésita . — Vous ? interrompit le baron . — Si je n' étais si près d' être votre femme , je n' oserais vous l' avouer : c' est par amour . — Ah ! mademoiselle , fit le baron avec joie , vous me connaissiez donc ? — Je vous ai vu une heure , il y a deux mois . Or , monsieur , je sais bien que vous ne pouvez m' en dire autant , et que ce mariage n' est pour vous ... — Ce mariage , interrompit le baron , aurait pu être , hier encore , une spéculation de ma part . Aujourd'hui , tout est changé , je vous aime . — Dites -vous vrai ? Et la jeune fille attacha , malgré la demi-obscurité où ils étaient plongés , un regard ardent sur Nossac . — En pouvez -vous douter ? Vous êtes si belle ! — C' est que , dit Hélène , je ne veux pas vous tromper , moi , et il faut que vous me connaissiez bien ... — Oh ! oh ! — Vous me dites que vous m' aimez , je le crois ; mais si vous me trompiez ... — Ah ! fi ! — Je ne vous le pardonnerais de ma vie . Et une étincelle qui fit tressaillir le baron jaillit de l' œil noir d' Hélène . — Mon Dieu ! oui , fit la jeune fille . Je ne suis pas de noblesse , mon père n' est pas même d' épée , et je n' ai personne d' église dans ma famille . Nous sommes de pauvres bourgeois enrichis , et je conçois qu' un gentilhomme qui daigne nous élever jusqu' à lui se fasse peu de scrupule de tromper une femme de ma condition ... — Je vous jure que la pensée en est loin de moi . — Je vous crois encore , monsieur le baron ; mais écoutez : nous ne serons mariés que dans une heure , et il est encore temps de rompre . — Fi ! quelle proposition ! — Me jurez -vous d' abandonner l' existence un peu débauchée que vous avez menée jusqu' à ce jour ? — Je vous le jure . — Vous ne me donnerez jamais le droit de ne pas être une honnête femme ? — Oh ! jamais . — Si un jour je prenais un amant , auriez -vous le courage de me tuer ? — Oui , fit résolument le baron . — Me donnez -vous le même droit ? Le baron hésita , mais il jeta un regard à la jeune fille , et la trouva si belle qu' il répondit aussitôt d' une voix ferme : — Oui , je vous le donne . — Et vous me jurez que vous m' aimez ? — Je vous le jure . — Assez , monsieur le baron , dit Hélène ; je serai votre femme devant les hommes dans quelques minutes , je la suis dès à présent devant Dieu . Et elle lui tendit son front d' ivoire , qu' il baisa . Le carrosse s' arrêtait au même instant sous le porche de la vieille église . Le baron descendit de voiture le premier et offrit ensuite la main à sa femme . Elle s' appuya sur son bras avec une noble lenteur , et gravit avec lui les marches du temple . Sur la dernière elle s' arrêta . — Monsieur le baron , dit-elle en le regardant en face , il en est temps encore , voulez -vous que je vous rende votre parole ? — Quelle folie ! — Vous tiendrez vos serments ? — Oui . — Prenez garde ! Ils sont lourds pour un homme comme vous . — Ils pourraient l' être avec une autre femme , mais non avec vous . Je vous l' ai dit , Hélène , vous êtes belle ... et je vous aime ! — Eh bien , dit-elle , tandis que son œil de velours brillait d' une flamme pudique , allons alors , je serai votre femme ! Le prêtre était à l' autel , les assistants avaient déjà pris leurs places dans le chœur . Simiane et Villarceaux étaient les témoins du baron . Le chevalier de Mirbel et le comte d' O ... ceux de la jeune femme . À minuit et demi , la bénédiction nuptiale avait été donnée aux époux , et Hélène Borelli remonta en voiture baronne de Nossac . — Ouf ! murmura Simiane , voilà qui est fait . Le bonhomme Borelli ne me refusera plus les deux cent mille livres que je lui demande à emprunter sur ma terre de Sault , déjà si fort hypothéquée . — Ouf ! murmurait en même temps le baron , on peut à présent annoncer et crier la mort de Mgr le régent , je suis assez riche pour renoncer de bon gré à mon gouvernement de Normandie . — Ouf ! murmurait pareillement le bonhomme Borelli , on ne dira plus que je suis un homme de rien , je m' imagine ! Mon gendre est Nossac , et nous aurons sous peu le gouvernement de Normandie . Encore un gentilhomme encanaillé ! ajouta-t-il avec son gros rire épais et béat . Quant à Hélène , elle se dit bien bas : — Il est beau ... et il m' aime ... Je suis heureuse ! Le souper et le bal qui suivirent la cérémonie nuptiale furent splendides . La mort du régent n' était point divulguée encore , et le beau monde était venu voir le baron de Nossac s' encanailler . Mais la curiosité universelle fut déçue ; personne , excepté les témoins et les assistants de la messe de mariage , ne vit la nouvelle épouse . Elle avait refusé d' assister à la fête et s' était retirée chez elle . La jeune baronne de Nossac était assise auprès de son feu , la tête mollement renversée en arrière , et dans cette attitude sérieuse et mélancolique de l' attente quand elle est tempérée par une vague frayeur . La jeune baronne avait une larme dans les yeux . L' aimerait-il longtemps ? Elle ne doutait pas , la pauvre enfant , de la sincérité de ses promesses ; mais promettre et tenir ... C' est pour songer à tout cela qu' Hélène de Nossac avait voulu être seule quelques heures encore ; c' est pour cela que , tandis que le bal retentissait aux étages inférieurs , elle s' était réfugiée jusqu' à sa chambre de jeune fille , pour y pleurer et rêver à son aise ... Au moment où deux heures sonnaient , le baron entra . À sa vue , Hélène se troubla bien fort et cacha sa tête dans ses mains . Le baron alla à elle , la prit dans ses bras et mit un baiser sur son front . Mais tout aussitôt , on gratta doucement à la porte . — Oh ! oh ! fit le baron ; qu' est -ce ? C' était un laquais qui le cherchait dans tout l' hôtel et venait le poursuivre jusque dans la chambre nuptiale . — Monsieur le baron , lui dit-il , il y a un carrosse arrêté à la porte de l' hôtel . Dans ce carrosse est un gentilhomme qui désire vous parler immédiatement . — Son nom ? — Je l' ignore ; mais c' est pour affaire pressée . — Mon dieu ! fit la baronne avec effroi . — Tranquillisez -vous , ma chère enfant , dit M . de Nossac , je reviens sur l' heure . — Oh ! revenez vite ... — À l' instant , mon cher ange . Le baron descendit , en se disant : — C' est un de mes créanciers pressé de s' inscrire et qui veut assurer sa dette . Gredin ! Et il arriva à la porte de l' hôtel et vit le carrosse arrêté sur la chaussée . — Baron , dit une petite voix flûtée , quand il fut à la portière , j' ai appris votre mariage il y a vingt minutes . Le baron tressaillit et darda un regard au fond du carrosse , où il aperçut la duchesse d' A ... , cavalièrement vêtue d' un pourpoint de mousquetaire . — Baron , continua la duchesse , vous m' avez promis ce matin même de me donner vingt-quatre heures , à mon choix ... — Oui , madame , murmura le baron pâle et frémissant . — Eh bien , cher , j' opte pour aujourd'hui . — Mais , madame ... cela ne se peut . — Pourquoi cela ? — Parce que ... parce que ... balbutia le baron , ma femme m' attend ... — Eh bien , vous la retrouverez demain . — Mais , c' est ma nuit de noces ... — Vous la passerez chez moi . Çà , baron , montez ici près , mettez -vous là . — Madame , s' écria le baron , par grâce ! — Vous en avez bien peu , vous , de venir me parler de votre femme . En route , mon bel ami , j' ai votre parole . — Mais au moins faut-il que j' aille prendre mon épée ? — Inutile ; en voici une . — Mon chapeau ? — Inutile encore , nous allons chez vous . — Chez moi ! – Sans doute . Rappelez -vous votre serment : Je vous promets de vous suivre partout où vous le voudrez . — Mais on le saura ? — Et vous n' en serez pas déshonoré , mon cher . Je suis assez belle encore pour qu' on m' avoue sans honte . Le baron , lié par sa parole , monta en jurant et maugréant dans le carrosse , qui s' éloigna aussitôt . — Quelle nuit de noces ! murmura-t-il . — Ce qui doit vous consoler , répondit en ricanant la duchesse , c' est que votre femme n' en passera pas une meilleure ... à moins que Simiane ... — Madame ! s' exclama le baron avec colère , je vous ai donné ma parole de vous appartenir corps et âme pendant vingt-quatre heures ; je tiens ma parole ; mais je n' entends pas vous donner le droit de m' insulter . L' honneur de ma femme est le mien ! — Baron , s' écria la duchesse , il est midi : voudriez -vous sonner vos gens et me faire servir à déjeuner ? Le baron était assis , pâle et blême , dans un coin de la chambre , sa tête dans ses mains et le front chargé d' un nuage de colère concentrée . Il se leva lentement et , comme un automate dont les ressorts sont distendus , s' approcha d' un gland de soie qui pendait le long de la glace de Venise placée au-dessus de la cheminée , et le tira violemment . — Tenez , continua la duchesse , voici la clé de votre appartement que j' avais prudemment retirée , de peur que la fantaisie ne vous prît de vous esquiver . — Madame , fit le baron avec colère , ai -je jamais manqué à ma parole ? La duchesse ne daigna point répondre à cette exclamation , mais elle ajouta avec sa raillerie habituelle : — Vous demanderez ensuite votre carrosse . — Pour quoi faire , madame ? — Mais , pour sortir , ce me semble . J' ai une migraine affreuse . Voyons , ajouta la duchesse avec une feinte compassion . Quelle heure est-il ? — Midi , madame . — Quelle heure avions-nous hier soir quand je vous ai emmené ? — Deux heures et demie , madame . — Vous êtes mon esclave pour vingt-quatre heures , baron . Comptez ... Neuf et demi et quatorze et demi font vingt-quatre : c' est donc quatorze heures et demie que vous me redevez . — Et vous ne me ferez pas grâce du reste ? — Pas d' une seconde , cher . — Mais c' est une barbarie sans nom ! madame . — Fi ! monsieur . Est -ce donc un supplice que de me tenir compagnie ? — Non , sans doute , ricana M . de Nossac ; mais j' ai une femme ... une femme qui m' attend ... — Et qui doit être en proie à une cruelle angoisse , n' est -ce pas ? Soyez tranquille , baron , nous allons prendre soin de la rassurer . Tenez , j' aperçois là-bas , sur ce guéridon , du papier et de l' encre ... Approchez le guéridon , baron . — Que voulez -vous faire , madame ? — Approchez toujours ... Bien ... Asseyez -vous , maintenant ... Vous sentez bien que ce n' est pas moi qui écrirai à Mme de Nossac . Et un rire fin et moqueur glissa sur les lèvres roses de la duchesse . M . de Nossac prit une plume et écrivit ces deux lignes : Mon cher ange , Le régent est mort la nuit dernière . M . de Bourbon est Premier Ministre , et je vous écris de la Bastille ... La duchesse allongea vivement ses doigts effilés vers la lettre , s' en saisit et la lut . — Dieu ! s' écria-t-elle avec un éclat de rire , le joli mensonge ! Vous mentez donc , mon pauvre cher ? — Mais , balbutia le baron , que voulez -vous donc que je dise pour excuser ... — Mais la vérité , baron . — Impossible ! — Vous êtes un niais . Croyez -vous que je vous aie enlevé cette nuit pour que , dès ce soir , vous roucouliez aux pieds de votre femme , parfaitement convaincue que vous êtes allé à la Bastille ! — Mais que voulez -vous faire ? — Presque rien . Dicter votre lettre . — Oh ! Je n' y consentirai jamais . — Baron , mon cher , vous oubliez une chose importante . — Laquelle ? — C' est que vous êtes mon esclave jusqu' à demain matin . — Eh bien ? — Eh bien , vous devez avoir pour moi une obéissance absolue et passive . Écrivez , baron ; j' ai votre parole . Le baron rugit de colère , mais il prit la plume , une autre feuille de papier et murmura : — J' attends , madame ... — Écrivez , dit la duchesse . Ma belle amie , J' avais promis , avant mon mariage , à une duchesse que je ne nomme pas , vingt-quatre heures d' esclavage . Je tiens toujours ma parole et je l' ai tenue hier . Je vous écris de chez moi , au moment de déjeuner avec ma belle geôlière . Mon majordome a fait frapper le champagne et chauffer un peu le bordeaux . Le menu est délicat . Nous sortirons en carrosse dans la journée , et demain , dès le point du jour , je vous reviendrai , belle amie , un peu pâle peut-être , un peu lassé de ma dernière folie de garçon , mais résigné d' avance à bientôt acquérir ce teint fleuri et ce merveilleux embonpoint qui fut et sera toujours l' apanage des maris . Je vous baise les mains . — Et vous allez envoyer cette lettre ! s' écria le baron , pâle de stupeur et de colère . — Sans doute . — Mais vous ne songez pas aux conséquences fatales qu' elle aura ? — J' essaie , baron . — C' est mon bonheur conjugal brisé à jamais ! — D' accord . Pour moi , c' est la satisfaction d' un caprice . Quand on est belle et un peu duchesse , cher , on a le droit d' avoir des caprices coûteux . Le baron regarda fixement son ancienne maîtresse . Il vit son regard froid et hautain , dans lequel brillait une haine implacable ; il comprit que cette femme , qui l' aimait la veille et qu' il avait froissée dans son amour , serait impitoyable , et il se résigna à subir son supplice jusqu' au bout . On gratta à la porte presque aussitôt . Nossac alla ouvrir . — Monsieur le baron est servi , dit un laquais . — Baron , lui dit la duchesse , allez donner un coup d' œil de fin soupeur au menu de votre majordome , et veuillez m' envoyer mes caméristes , qui doivent être arrivées ici . Je vais me faire habiller . Dix minutes après , Mme la duchesse d' A ... et M . le baron de Nossac étaient à table . La duchesse suça une aile de perdrix , croqua par -ci par -là un morceau délicat , trempa ses lèvres dans le meilleur cru d' Aï , et égrena du bout de son ongle rose une grenade confite au caramel , et un atome de plumpudding , mets récemment arrivés d' outre-Manche sur les nappes de la cour et de la ville . Puis , quand ce fut fait , elle se leva et dit au baron : — Faites mettre vos chevaux . Le baron donna des ordres . — Maintenant , continua-t-elle , veuillez passer dans votre boudoir et y revêtir un costume complet que votre valet de chambre a préparé d' après mes ordres . Je vais de mon côté , à l' aide de mes femmes , modifier ma toilette . Le baron savait désormais qu' il était bien réellement esclave ; aussi n' essaya-t-il nullement de commenter les étranges volontés de son impérieuse maîtresse . Il se livra aux mains de son valet de chambre , qui le revêtit d' un galant habit de simple garde-française , puis il rejoignit la duchesse , qu' il trouva vêtue en cantinière . Le soldat et la cantinière formaient un couple ravissant . — Où me conduisez -vous , madame ? demanda le baron du ton dont il eût demandé : de quel supplice vais -je mourir ? — Aux Porcherons , mon bel ami . — En carrosse ? — Pour sortir de Paris seulement . Après , nous nous en irons à petits pas , à travers champs , au bras l' un de l' autre , comme un vrai garde-française et une cantinière au naturel . — Et , fit Nossac , dont la voix irritée tremblait dans sa gorge , que ferons-nous aux Porcherons ? — Ce qu' on y fait , baron . Nous nous y amuserons . Nous dînerons sous une tonnelle de cabaret ; nous boirons d' un affreux vin couleur indigo , et nous mangerons une cuisine sans nom , qui vous fera regretter un peu la table future de M . le fermier des gabelles Borelli , votre beau-père . Le baron se mordit les lèvres . — Allons , duchesse , dit-il en lui offrant le bras , venez ... j' ai hâte de partir . — Craignez -vous que Mme de Nossac ne vienne vous chercher ? Le baron n' y avait point songé ; mais cette pensée le fit frémir . — Rassurez -vous , cher , lui dit l' implacable duchesse ; si elle vient , elle aura beau faire , je ne vous céderai pas . Ils montèrent en carrosse , sortirent de Paris au galop , puis , arrivés à peu près dans cet endroit où s' élève de nos jours le mur d' enceinte qui sépare Paris des Batignolles , ils renvoyèrent carrosse et laquais et s' en allèrent à pied , sous le bras l' un de l' autre , à travers champs , comme un vrai garde-française et une cantinière au naturel , ainsi que l' avait dit la duchesse elle -même . Aux Porcherons , le baron de Nossac trouva nombreuse compagnie , et son déguisement jeta un lustre de plus sur son équipée . Il fut avéré que M . Borelli était un homme parfaitement joué et roulé , et que Mme de Nossac n' aurait de son mari que le nom ... et les créanciers . Il était à peine jour , quand le baron , libre enfin et débarrassé de la duchesse , sortit à pied de chez lui et se dirigea vers l' île Saint-Louis , où M . le fermier des gabelles Borelli avait son hôtel . Malgré l' heure matinale , les domestiques étaient tous sur pied , et les fenêtres grandes ouvertes . « Oh ! oh ! pensa le baron , qu' est -ce que cela veut dire ? ma femme prendrait-elle un second mari ? » Les domestiques s' inclinèrent respectueuse­ment sur son passage , mais aucun ne lui adressa la parole . Dédaignant de les questionner , M . de Nossac monta directement à l' appartement de sa femme . Les portes étaient ouvertes à deux battants , et salles et chambre à coucher complètement désertes . « Ma femme est chez son père » , pensa-t-il . Et il se rendit chez le fermier des gabelles . Là , comme chez sa femme , les salles étaient désertes , le lit non foulé . — Diable ! s' exclama le baron , il y a bien du mystère ici . Et il redescendit , et , s' adressant au premier valet qu' il rencontra : — Où est donc M . Borelli ? — M . Borelli est parti hier soir pour sa terre de Normandie . — Ah ! fit le baron , stupéfait . — Il a laissé à son intendant une lettre pour monsieur le baron . — Appelle -moi l' intendant . L' intendant parut , sa lettre à la main . Le baron ouvrit précipitamment la lettre et lut ce qui suit : Monsieur le baron , Vous n' avez épousé ma fille que dans le but de payer vos dettes . Votre but est rempli , vos dettes sont payées . Je joins les quittances de vos créanciers à ma lettre , que je désire voir rester sans réponse . Je vous laisse mon hôtel à Paris et me retire dans ma terre du pays de Caux , où j' espère bien ne point recevoir votre visite . Un homme désolé de vous avoir pour gendre . BORELLI . — Mais , s' écria le baron , où est Mme de Nossac ? — Partie , monsieur le baron . — Avec son père ? — Non , monsieur le baron . — Et où est-elle ? — Sur la route de Bretagne , où elle a un château . — Depuis quand est-elle en voiture ? — Depuis hier soir , monsieur le baron . — C' est bien ! fit le baron avec colère . Allez me chercher des chevaux de poste sur l' heure ; je veux partir à l' instant . Le baron fut obéi avec une admirable promptitude . Vingt minutes après , il montait en chaise et s' écriait : — Je crèverai vingt chevaux , mais je rattraperai ma femme ! Le baron se tint parole à moitié , car ... Car à trente lieues de Paris , comme on relayait , un gentilhomme de fort bonne tournure arrive derrière le baron , après avoir accompli , sans nul doute , de semblables prouesses de célérité , et lui dit gravement : — Je me nomme , monsieur , le chevalier de Courceneuille , et je suis , depuis hier , l' amant de la duchesse d' A ... — Ah ! fit le baron en reculant d' un pas . — Il paraît , monsieur , que vous avez gravement insulté la duchesse , car elle m' envoie vous provoquer ... — J' accepte le défi , monsieur , répondit le baron en mettant sur l' heure flamberge au vent . Le baron avait maintes fois fait des armes avec le régent , qui s' y connaissait , mais cela n' empêcha point qu' il reçût un bon coup d' épée qui le mit au lit pour huit jours , dans l' auberge misérable où relayait sa chaise de poste . Ce qui fit qu' il ne put rattraper sa femme . Huit jours après , cependant , M . le baron de Nossac fut en état de continuer sa route ; et en quarante-huit heures il arriva dans le Léonais , province où se trouvait le château de sa femme . Au dernier relais , on lui dit que les chemins qu' il allait suivre étaient désormais impraticables aux voitures . Le baron demanda un cheval et se mit en route malgré l' heure avancée ; il chemina toute la nuit et atteignit au point du jour le sommet d' une colline d' où l' on apercevait à l' horizon les tourelles grises du château où il se rendait . C' était une belle matinée d' hiver , dépouillée de ces brumes ternes qui rampent et s' allongent d' ordinaire , au souffle d' une bise froide et pluvieuse , sur les champs dépouillés et les pâturages jaunis . Le baron se sentit un peu de joie au cœur , et pressa son cheval déjà fatigué . Tout à coup , au milieu de ce calme paisible des champs , le son d' une cloche lui arriva lent et mesuré ... Cette cloche sonnait un glas funèbre . Le baron tressaillit et donna à son cheval un furieux coup d' éperon . Le cheval reprit le galop et arriva , tout d' un trait , à la grille du château . Le baron entra dans la cour ; la cour était silencieuse et déserte . Il mit pied à terre , gravit le perron , puis l' escalier à balustre d' or et marches de pierres . Perron , escalier étaient vides de serviteurs . Il traversa , guidé par un mystérieux et sinistre pressentiment , plusieurs salles également vides , où sa botte éperonnée retentissait avec un lugubre bruit ; puis enfin il entendit un murmure confus au loin , à l' extrémité des appartements qu' il traversait , un murmure monotone et vague qui ressemblait à des chants d' église , que des moines psalmodieraient au fond d' un cloître , à l' heure nocturne des matines . Guidé par ce bruit , il avança toujours , le cœur frémissant d' émotion et la sueur aux tempes . Il arriva ainsi jusqu' à une porte fermée . Puis derrière cette porte , le murmure qu' il avait entendu était devenu distinct : c' était bien un chant d' église . Le baron sentit ses cheveux se hérisser ; mais , dominant sa terreur , il frappa ... Aussitôt le chant s' éteignit , et la porte s' ouvrit à deux battants , criant sur ses gonds avec une sonorité funèbre . Le baron recula et poussa un cri , à la vue du spectacle qui s' offrit alors à ses yeux . Sur son lit de parade était étendue , inanimée , Mme la baronne de Nossac . Au chevet , un prêtre était à genoux et récitait , en surplis , les prières des morts . Autour du lit , les serviteurs pleuraient agenouillés . Sur le guéridon de nuit brûlait un cierge mortuaire . À côté du cierge était un large pli , portant cette inscription : À monsieur le baron de Nossac La baronne de Nossac était TRÉPASSÉE de la veille . C' était son glas funèbre qu' avait entendu le baron . Il marcha droit au lit avec la raideur d' une statue et posa la main sur le cœur de la morte ... Le cœur ne battait plus . Il approcha ses lèvres frémissantes de ses lèvres à elle ... Les lèvres étaient froides . Il prit dans sa main la main glacée de la défunte , la souleva , puis la laissa échapper . La main retomba inerte . La baronne de Nossac était bien morte . Alors il s' approcha du guéridon , brisa le sceau du pli et le fouilla avidement . Le pli ne contenait que le testament de la défunte , testament conçu en ces termes : J' établis monsieur le baron de Nossac mon légataire universel , à la charge pour lui de se remarier dans le délai de deux ans et d' habiter mon hôtel de l' île Saint-Louis , à Paris , quand il séjournera dans cette capitale Baronne Hélène de Nossac , Née Borelli P.-S . – Si monsieur de Nossac redevenait veuf avant l' expiration des deux années , il serait contraint de se remarier pour ne point voir mon héritage retourner à ma famille . Pas un mot d' amour ou de colère n' était joint à ce testament . Ce silence était-il menace ou dédain ? Le baron fit rendre les honneurs funèbres à sa femme , puis il appuya un pistolet sur son front et voulut se tuer ; mais il songea qu' il ne lui avait pas fait élever un mausolée , et il pensa qu' il était plus convenable d' attendre l' érection de cet édifice pour se brûler dessus la cervelle . Le mausolée fut construit à grands frais et s' éleva dans le parc du château avec cette inscription : ICI GÎT LA BARONNE HÉLÈNE DE NOSSAC NÉE BORELLI , TRÉPASSÉE VIERGE À L' ÂGE DE VINGT-CINQ ANS . D . P . Quand ce fut fait , l' inconsolable baron apprêta de nouveau ses pistolets et se rendit sur la tombe pour y faire le sacrifice de sa vie aux mânes de sa femme infortunée . Mais un gentilhomme venant de Paris , à franc étrier , y arriva en même temps que lui et lui dit : — C' est fort bien de pleurer sa femme ; mais quant à lui sacrifier sa vie , cela ne se peut ... La vie d' un gentilhomme appartient au roi . Ce gentilhomme était le marquis de Simiane , qui apportait au baron un brevet de mestre de camp , et l' ordre de se rendre sur-le-champ à l' armée d' Allemagne . Le baron se résigna à vivre , tout en jurant qu' il ne se consolerait jamais . Ce qui fit qu' il se consola . Il y avait , jour pour jour , un an que Mme la baronne de Nossac avait été inhumée par les soins de son mari , dans le parc de son château du Léonais . Nous retrouvons le baron à quelques centaines de lieues du tombeau de sa femme , c' est-à-dire à bord du vaisseau-amiral de la flotte française qui croise devant Dantzig sous les ordres du comte de La Motte . Le roi Stanislas de Pologne , allié de Sa Majesté Louis XV , était bloqué par les Russes dans sa dernière place forte , Dantzig . À Varsovie , M . de Lacy , commandant supérieur des armées du tsar , avait fait proclamer le prince Auguste roi de Pologne et grand-duc de Lituanie . Dantzig ne pouvait tenir longtemps ainsi bloquée , et la prise de Dantzig , c' était la tête de Stanislas qui roulerait sur le billot . Trois hommes tenaient conseil à bord du vaisseau-amiral : le comte de La Motte , amiral en chef ; le baron de Nossac , mestre de camp des armées de terre et commandant un corps d' infanterie embarqué , et le comte Bréhan de Plelo , gentilhomme breton , ambassadeur français à Copenhague . — Messieurs , disait l' amiral , nous avons cinq vaisseaux de ligne et trois corvettes ; un effectif de sept à huit mille hommes à peine . Les Russes campent au nombre de trente mille sous les murs de Dantzig ; ils sont bien retranchés ; le fort de Weshulmund leur a ouvert ses portes , leurs batteries dominent les deux rives de la Vistule , le débarquement est inutile ; il n' y a rien à faire , nous ne pouvons secourir Dantzig . — Monsieur , répondit le comte de Plelo avec une froide dignité , il y a à Dantzig un roi dont la vie est menacée , un roi dont la tête peut tomber sous la hache comme celle de Charles Ier d' Angleterre . Songez -y ... — Je le sais , monsieur , mais qu' y puis -je faire ? — Songez aussi , dit à son tour le baron de Nossac , que l' Europe entière a les yeux sur nous , et que , si demain Dantzig est pris , si demain une commission d' officiers russes s' assemble , juge et condamne le roi Stanislas , si le jour suivant le roi Stanislas pose sa tête sur le billot et meurt les yeux tournés vers nous , il s' élèvera dans toute l' Europe un cri de réprobation contre nous et l' on dira : « Il y avait à une lieue de Dantzig une escadre française , une armée du roi Louis XV , l' ami du roi Stanislas . Cette escadre , cette armée sont demeurées spectatrices paisibles et ont vu rouler une tête de souverain sans qu' un seul de leurs sabords vomît un boulet , un de leurs mousquets , une balle ! — Messieurs , fit le comte de La Motte avec hauteur , vous parlez noblement et bien . Mais le roi , notre maître , m' a investi du commandement suprême . À ce titre , je lui dois un compte sévère de ses soldats . Essayer de ravitailler Dantzig , c' est les conduire à une mort certaine sans espoir même de réussir . Je m' oppose au débarquement . – Monsieur , dit le comte de Plelo , il y a un vieux proverbe , un proverbe chevaleresque s' il en fut , qui a cours en France et surtout en Bretagne . Je suis breton , voulez -vous me permettre de le citer ? Fais ce que dois , advienne que pourra ! Eh bien , moi , comte de Bréhan de Plelo , je vous somme de veiller au salut d' un roi allié de la France ! Avant d' être homme d' État , j' étais homme d' épée , et j' assume sur ma tête , d' avance , toute la responsabilité de l' expédition hasardeuse que je vous propose . Êtes -vous content ? — En ce cas , monsieur , répondit l' amiral , nous pouvons débarquer . Je suis prêt à me faire tuer près de vous . — Après moi , comte , dit fièrement M . de Plelo ; le premier gentilhomme qui mourra pour le roi Stanislas , ce sera moi . — Et moi , fit le baron de Nossac , je vous jure , messieurs , que , dussé -je passer , moi tout seul , sur le corps d' une armée russe tout entière , j' arriverai jusqu' à Sa Majesté polonaise ; je me placerai à sa droite , et , si je ne la sauve pas , si je ne l' arrache point au bourreau , au moins ne tombera-t-il un cheveu de sa tête que lorsque la mienne ne sera plus sur mes épaules . Le comte de Plelo lui tendit la main : — Baron , lui dit-il , vous êtes le meilleur gentilhomme que je connaisse , et vous me prouvez une fois de plus que , chez vous , galanterie et bravoure , esprit et noblesse , vont toujours de pair ! — Je vais prendre les mesures nécessaires pour le débarquement , dit M . de La Motte . — Je le commanderai , fit le comte de Plelo . — Et moi , ajouta Nossac , je me battrai en simple gentilhomme ; je vais résigner mes pouvoirs de général aux mains d' un de mes colonels . — Pourquoi cela , baron ? — Parce que je veux arriver jusqu' au roi , et que je n' entends point lui conduire mon corps d' armée . — Quelle folie chevaleresque ! murmura l' amiral . — Les folies de ce genre , répondit M . de Plelo , valent sagesse et diplomatie . L' attaque et le débarquement eurent lieu le jour même . M . de Plelo et M . de Nossac passèrent avec deux cents hommes sur dix mille Russes , et arrivèrent aux portes mêmes de Dantzig . Mais là , M . de Plelo tomba percé de coups , ses compagnons furent pris ou tués ; seul , un homme se fit jour l' épée au poing , à travers les lignes ennemies , et sanglant , couvert de boue , les vêtements en lambeaux et criblés de balles , qui , pour la plupart , l' avaient épargné , vint tomber mourant et brisé de fatigue , aux palissades des assiégés . C' était le baron de Nossac . Le comte de Plelo et lui avaient tenu parole , tous deux ; l' un était mort , l' autre était arrivé jusqu' au roi Stanislas . Il n' entre point dans notre cadre de relater d' une manière détaillée cette miraculeuse évasion du roi Stanislas , qui , à cette époque , étonna l' Europe entière par la hardiesse avec laquelle elle fut conçue et exécutée . Nous nous bornerons à une rapide analyse . Les Dantzigois n' avaient opposé à l' armée russe une résistance aussi énergique que parce que la présence de leur roi les enthousiasmait et les stimulait . Ils voulaient bien s' ensevelir sous les ruines de leur ville , mais à la condition que le roi y périrait avec eux . Or , le roi savait que tant qu' il serait à Dantzig , Dantzig ne se rendrait pas , et il ne voulait pas que la ville fût bombardée et affamée plus longtemps , il lui fallait quitter Dantzig . Jamais fuite n' avait paru plus impossible . Les Russes bloquaient Dantzig ; Dantzig , à son tour , y mettrait de l' amour-propre et ne laisserait point partir son roi . Le roi avait donc à se garder autant de ses amis que de ses ennemis . Trois hommes , trois hommes seuls , sans complices , sans auxiliaires , sans autres secours que leur audace et leur épée , résolurent cependant de sauver le roi et y parvinrent . Ces trois hommes étaient le marquis de Monti , ambassadeur de France à Dantzig , le général Steinflich , et le baron de Nossac . Le marquis procura au roi un costume de paysan et les vieilles bottes d' un officier de la garnison , bottes qu' il n' osa demander et fit voler par le domestique de l' officier . Le général Steinflich prépara une barque qui , une nuit , une nuit sombre et propice à l' événement , se trouva amarrée sous le rempart qui longeait la Vistule . Le roi , suivi du général et du baron , déguisés tous deux comme lui , arriva sur le rempart et se présenta à la poterne qui ouvrait sur un escalier tournant dont le pied plongeait dans le fleuve . À cette poterne était de garde un officier suédois . — Qui êtes -vous ? demanda-t-il au roi . Le roi hésita une minute , puis il préféra se fier à la loyauté de l' officier , et lui dit : — Je suis le roi de Pologne . — Je ne puis laisser passer Votre Majesté , répondit l' officier , sans qu' elle ait été reconnue par le major de la place . Cela était impossible . Le major se fut opposé à la fuite du roi . — Monsieur , dit alors le baron de Nossac à l' officier , êtes -vous gentilhomme ? — Oui , monsieur . — Êtes -vous bien convaincu que si Dantzig est pris , le roi sera décapité ? — Oui , répondit l' officier . Mais nous mourrons avec lui . — Monsieur , continua le baron , j' ai connu dans mon extrême jeunesse un gentilhomme écossais presque centenaire , qui portait éternellement un masque de velours noir sur son visage et un crêpe noué à son bras . Savez -vous pourquoi ? — Non , dit l' officier . — Parce qu' il avait été le dernier Écossais qui déserta la cause du roi Charles Ier , et que les longues années qui s' étaient écoulées depuis n' avaient pu lui faire oublier sa trahison et étouffer ses remords . — Qu' y a-t-il de commun entre lui et moi ? demanda l' officier . — Ceci : c' est qu' il était la cause première de la mort de son souverain , et que si , dans trois jours , la tête du roi Stanislas a divorcé d' avec son corps , vous pourrez vous dire : « C' est moi qui ai tué mon roi , par mon obstination et mon obéissance passive à une discipline qui ne doit plus exister quand la vie d' une tête couronnée est en péril . » L' officier réfléchit une minute ; puis , posant la main sur son cœur , répondit en livrant le passage : — Le roi peut passer ! Le roi descendit , suivi de ses deux compagnons , trouva la barque montée par un znapan , sorte de soldat bohémien et mercenaire assez fréquent en Allemagne à cette époque , y prit place et coupa lui -même l' amarre avec son poignard . Quant à l' officier suédois , le lendemain , au jour , et quand la barque royale fut loin , il alla trouver le major de la place , lui raconta ce qui s' était passé , et lui dit : — Maintenant , monsieur , comme il ne faut pas que deux officiers manquent simultanément à leur devoir , vous allez assembler un conseil de guerre et me faire fusiller aujourd'hui même . — Vous avez raison , répondit le major en lui tendant la main . Vous êtes un brave gentilhomme . — Non , dit l' officier , je suis un traître ; mais j' ai sauvé le roi . Je meurs content . Qu' on cherche de tels hommes aujourd'hui ! Les trouvera-t -on ? Le roi gagna les marais au milieu desquels la Vistule s' enfonce avant de s' unir à la mer . Il demeura caché tout un long jour dans une chaumière de paysans , et ne se remit en route que la nuit suivante . Enfin , après dix nuits semblables , dix nuits de périls continuels , passant à travers les retranchements des Russes et des Impériaux , dormant mal , mangeant à peine et toujours escorté par Steinflich et le baron , il parvint à toucher le bord du Nogat . Là , Steinflich quitta le roi , mais le baron voulut l' accompagner encore . Le roi passa le Nogat avec lui ; puis , arrivé sur l' autre rive , il gagna un village nommé Bialagora , où il acheta un chariot et un cheval . Deux jours après , dans cet équipage , le roi Stanislas de Pologne fit son entrée dans Marienwerder . Il était hors de danger et loin de la hache des Russes . Alors le baron prit congé de lui . — Adieu , Sire , lui dit-il . — Vous me quittez ? — Je retourne à mon poste , Sire . — Hélas ! fit le roi avec un triste sourire , je n' ai plus de royaume et je suis le plus pauvre des Polonais . Je n' ai donc à vous offrir ni dignités , ni fortune pour vous retenir auprès de moi , et je vous laisse . — Sire , dit fièrement le baron , si j' étais polonais , Dieu m' est témoin que je voudrais vous suivre au bout du monde , dussions-nous l' un et l' autre manquer d' abri et de pain . Mais je suis au roi de France , et je n' ai fait que le servir en vous escortant . Le roi tendit la main . Nossac fléchit un genou et la baisa . Puis il s' inclina et alla préparer son départ . Dans l' hôtellerie où il était descendu , venait d' arriver un znapan couvert de poussière et paraissant avoir fait une longue route . Il demanda à parler au baron . Le baron était toujours revêtu de ses habits de paysan , mais le znapan alla vers lui et lui dit : — Mon général , je viens à vous de la part du général Steinflich . — Pourquoi cela ? demanda le baron en tressaillant . — Pour vous avertir qu' une embuscade est dressée sur l' autre rive du Nogat . — Et cette embuscade ? — Pour vous , mon général . Les Russes se sont promis de vous faire payer cher l' enlèvement du roi Stanislas . — En sorte que je dois rester ici ? — Oui , mon général , à moins que ... — À moins ? interrogea Nossac . — À moins que vous n' ayez confiance en moi pour vous aventurer en ma compagnie , dans l' intérieur des terres ou des forêts . Je connais des chemins où les Russes ni les Impériaux ne passeront jamais , et vous promets qu' avant quinze jours vous serez aux frontières de Prusse et pourrez vous embarquer . — Morbleu ! s' exclama le baron , j' aime tout autant cela . Et il quitta son déguisement , se procura des vêtements convenables et un cheval , puis dit au znapan : — Nous partirons dès demain avant le jour , si tu veux . Le znapan s' inclina et réprima un diabolique sourire , qui venait sur ses lèvres , tandis qu' il murmurait à part lui : — Le château des veneurs noirs est loin encore ... Mais nous y arriverons ! Le baron dormit mal dans le lit misérable qui était cependant le meilleur de l' auberge où il était descendu . Le cauchemar , ce rêve pénible qui suit d' ordinaire les grandes fatigues , l' assaillit pendant plusieurs heures et déroula dans son imagination impressionnée les contes les plus étranges et les plus noires légendes qui aient cours dans cette mystérieuse Allemagne qui , de nos jours encore , n' est point complètement affranchie des traditions superstitieuses et féeriques du Moyen Âge . Tout à coup , une voix monotone , lente , bizarre , l' éveilla en sursaut . Cette voix disait un chant slavon dont voici le premier couplet : Le vieux châtelain , le sourcil froncé , Est encore assis à minuit passé Dans son grand fauteuil séculaire , Le dernier tison du feu , et l' aurore teint L' horizon bientôt . Qu' a-t-il pour se taire Et garder ainsi son visage austère , Sombre et menaçant , le vieux châtelain ? Le vieux châtelain , dans la forêt sombre , À l' heure où le jour s' efface sous l' ombre , Aura vu passer sur son cheval noir Le veneur tout noir qui nuit et jour chasse , Le noir veneur qui jamais ne se lasse , Et , le fouet en main du matin au soir , Embouche la trompe , et poursuit la chasse ... On verra demain des morts au manoir ! Ce chant s' élevant tout à coup au milieu du silence nocturne et réveillant les échos paisibles des environs , étonna le baron assez vivement pour le faire sauter au bas du lit et courir à sa fenêtre qui donnait sur la cour de l' auberge . À la clarté de la lune qui frangeait d' argent de gros nuages noirs , affectant des formes étranges et tourmentées , il aperçut un homme occupé à harnacher deux chevaux . C' était le znapan . Rassuré , le comte retourna à son lit , prit sa montre au chevet et la consulta . Il était à peine une heure du matin . « Oh ! pensa-t-il , mon drôle est bien pressé de partir ... » Il retourna à la croisée et l' appela . Le znapan tourna la tête : — Bonjour , mon général , dit-il ; puisque vous êtes éveillé , habillez -vous promptement . — Nous partons bien matin ... — La route est longue . — En route donc , fit le baron . Il s' habilla lestement , descendit sans bruit dans la cour , mit ses pistolets prudemment amorcés dans ses fontes , boucla soigneusement le ceinturon de son épée et se mit en selle . Le znapan sauta sur la croupe nue de son cheval avec cette légèreté fantastique des cavaliers hongrois ou bohèmes , et passa le premier . Ils sortirent ainsi du bourg et prirent un petit sentier rocailleux , inégal , encaissé de haies vives et s' enfonçant d' abord au milieu d' une plaine couverte de bruyère , pour aller ensuite courir par rampes brusques et sinueuses au flanc d' une montagne chargée de sapins noirs , qui s' ouvrait tout à coup comme une bouche gigantesque , et se trouvait coupée en deux par une gorge profonde se dirigeant au sud-est . Depuis que le baron s' était fait entendre au znapan , ce dernier avait éteint sa chanson , et , dominé par d' autres préoccupations , le baron ne prit pas garde à ce silence subit et se laissa aller bientôt , bercé par le pas cadencé de sa monture , à cette rêverie toute mélancolique qui s' empare si facilement du voyageur , la nuit , au milieu des campagnes muettes , paisibles , dont un léger souffle de vent , un oiseau nocturne ou un grillon troublent seuls le silence . La lune , passant successivement derrière les nuages , tigrait plaines et coteaux d' ombres gigantesques et bizarres ; parfois , elle disparaissait complètement , et alors l' obscurité était profonde , et le baron avait toutes les peines du monde à voir trois pas devant lui le cheval de son guide . Les nuages allaient se resserrant peu à peu : au moment où les deux cavaliers atteignirent l' entrée de la gorge , ils ne formèrent plus qu' une seule route noire et menaçante ; la lune disparut tout à fait , et les ténèbres devinrent si profondes que le baron sentit son cheval frissonner instinctivement sous lui . Tout aussitôt la voix du znapan s' éleva de nouveau et continua sa chanson . Ce veneur maudit a Satan pour père ; Il est tout puissant , il peut tout sur terre ; Il a dans les bois un château d' argent , Sa meute est ardente , et met hors d' haleine Un grand cerf dix cors en une heure à peine . — Ah çà , maraud ! s' écria le baron impressionné malgré lui , que me chantes -tu là ? — La légende du veneur noir . — Qu' est -ce que le veneur noir ? — Vous le voyez bien , mon général , c' est le fils du diable . — Le rencontrerons-nous en route ? demanda M . de Nossac en riant . — Dieu nous en préserve , mon général . — Et pourquoi cela ? — Parce que ceux qui voient le veneur noir meurent dans les vingt-quatre heures . — Ah ! par exemple ! — À moins qu' ils n' aient une fille à marier ... — Ah ! ah ! — Car on dit qu' il cherche femme , le veneur noir , et qu' aucune , noble châtelaine ou paysanne , ne veut de lui . — Je n' ai pas de fille à marier , mais je cherche femme ; si le veneur noir en avait une ... mordieu ! je crois que je l' épouserais . Le baron achevait à peine ces mots d' un ton léger , qu' une voix stridente s' éleva dans les profondeurs de la gorge , à cinq cents mètres devant les cavaliers , et cette voix bien autrement accentuée et terrible que celle du znapan entonna un troisième couplet de la légende du veneur noir , couplet inconnu sans doute au znapan : Qu' a donc le châtelain , que son front est sévère , Et qu' à l' heure où tout est calme sur cette terre , Où tout dort , il demeure au coin de l' âtre , ainsi Qu' un trépassé qui vient de la ronde infernale , Qu' au carrefour des bois Satan la nuit étale , Et qui se veut asseoir encore une heure aussi Au feu de sa maison , et frissonnant et pâle , Se réchauffer avant qu' un vert rayon d' opale Ait glissé , tremblotant , dans le ciel éclairci ? — Quelle est cette voix ? demanda le baron tressaillant et arrêtant court son cheval . Mais le znapan ne répondit pas , soit qu' il fût dominé par la terreur , soit qu' il n' eût point entendu l' interpellation . La voix reprit : Le vieux châtelain est sexagénaire , Il a vu passer en quelque clairière Le cheval d' ébène et le veneur noir ... C' est qu' avant la nuit prochaine au manoir On verra des morts , et que dès ce soir L' aumônier dira sa morne prière . Ce n' est point cela . Le grand veneur noir Est venu naguère heurter au manoir Il a dit au vieux châtelain : « Ce soir , Je veux aimer ta fille une nuit entière . » — Mais quelle est donc cette voix ? s' écria le baron de Nossac . En ce moment , un éclair jaillit de la voûte de nuages qui s' entrouvrit ; cet éclair éclaira la gorge deux secondes , et à sa sinistre lueur , les deux voyageurs aperçurent immobile , au milieu de la route , un cavalier vêtu de noir , monté sur un cheval noir comme lui , et ayant masque de velours au visage et trompe de chasse sur l' épaule . – Le veneur noir ! murmura le znapan d' une voix que l' effroi semblait étrangler . — Par la mort Dieu ! s' écria le baron frissonnant et voulant dompter chez lui la terreur du danger par le danger lui -même , je veux le voir de près ce veneur terrible ! Et il poussa son cheval , qui tremblait sous lui . Le veneur noir , car c' était bien lui , à en juger du moins par l' apparence , le veneur noir , disons-nous , demeura immobile au milieu de la route , semblable à quelque génie colossal défendant l' entrée de cette noire et mystérieuse vallée aux simples mortels . Il avait en effet une taille véritablement gigantesque et comme on n' en trouve plus que dans le nord de la Germanie ; son cheval , noir comme lui , parut au baron plus grand et plus fort que les autres animaux de sa race . Mais M . de Nossac , s' il avait eu un premier mouvement de crainte , était assez brave pour maîtriser complètement sa terreur et son émotion dans l' espace de quelques secondes . Le temps de galop qu' il fit pour arriver jusqu' au veneur , si court qu' il fût , suffit à lui rendre tout son sang-froid , et quand il ne se trouva plus qu' à vingt pas , il arrêta court sa monture et cria à l' étrange cavalier : — Holà , mon maître , place , s' il vous plaît ? Le veneur noir ne répondit pas ; mais il poussa son cheval à son tour et vint à la rencontre du baron . Un second éclair entrouvrit les nuées , les sillonna rapidement , et éclaira les deux cavaliers au moment où ils se trouvaient face à face , leur permettant ainsi de s' observer réciproquement . — Eh bien ! demanda M . de Nossac avec courtoisie , mais d' un ton ferme et froid , Votre Seigneurie infernale me livrera-t-elle passage ? — Ah , ah ! ricana le veneur , vous paraissez me connaître , mon gentilhomme ? — Parbleu ! dit le baron , on m' a raconté le commencement de votre histoire , et vous venez de me dire la fin , le tout dans une ballade assez joliment rimée . Vous êtes le veneur noir ... — Tout comme vous le baron de Nossac . Le baron , entendant prononcer son nom , fit un mouvement de surprise et d' inquiétude : — Bah ! dit-il , se dominant aussitôt , il est tout naturel qu' un fils du diable sache par cœur le grand armorial de France . — Et vous y avez même , si j' ai bonne mémoire , mon gentilhomme , une assez belle place ; vous datez des croisades , je crois ? — En effet . Votre Seigneurie voit-elle quelque inconvénient à ce que je continue ma route ? — Mon cher baron , répondit familièrement le veneur noir , vous êtes sur la limite de mes terres ; je possède cette vallée et vingt lieues de forêts alentour ; j' ai , en outre , un assez beau castel à dix lieues d' ici . Vous voyez que je suis un châtelain fort présentable et qui ne ferait nullement une piètre figure à la cour d' un souverain quelconque , fut -ce mon cousin de Prusse et de Russie . — Je vous en félicite , fit le baron poliment , vous avez de superbes domaines . Seulement , s' il m' était permis de vous donner un conseil ... – Oh , ne vous gênez pas . Je sais par cœur les œuvres d' un de vos poètes du dernier siècle , maître Nicolas Boileau , un homme d' esprit , baron , et qui , je le prévois , sera fort maltraité dans cent cinquante ans d' ici par une école de romantiques qui auront le défaut d' avoir plus de génie que de sens . Je me souviens d' un vers assez remarquable : Aimez qu' on vous conseille , etc . — Je me permettrai donc de vous engager , monseigneur , à éclairer un peu mieux les routes de votre domaine . Il fait noir ici comme dans une conscience de janséniste . — Vous croyez ? demanda sérieusement le veneur noir . — Et je pense qu' il vous serait facile de distraire un ou deux tisons du brasier où se chauffe Sa Majesté votre père , depuis qu' elle a renoncé à se geler dans le paradis . — Mon père a toujours froid , dit sèchement le veneur , et puis , ses hôtes sont si nombreux qu' il ne peut les frustrer ainsi . Par exemple , baron , reprit-il en ricanant , si , quand vous serez parmi eux , vous voulez me faire cadeau de votre part de feu pour me servir de réverbères et de lanternes , je l' accepterai avec grand plaisir ! ... — Je regrette infiniment que ce ne soit pas tout de suite , répliqua le baron sur le même ton de persiflage , car je crains fort que mon guide ne se casse le cou avant qu' il soit peu : il est si fort effrayé déjà ... — Votre guide , baron , est au coin du feu à l' heure qu' il est . — Ah ! par exemple ! — Voyez plutôt . Un troisième éclair parut obéir à un ordre mental du veneur noir , et fit resplendir les roches tourmentées et les sombres taillis de la gorge dans le rayon d' un quart de lieue . Le veneur étendit la main , le baron se retourna , explora la route , examina , chercha ... , et ne vit plus rien . Le znapan avait disparu . Le baron poussa un cri de surprise . — Où donc est-il passé ? — Il est auprès de ce feu que vous vouliez appauvrir naguère pour éclairer mes domaines . C' est un petit diablotin que mon père me prête de loin en loin . — Eh bien , murmura le baron , me voilà magnifiquement campé ! — Je vous servirai de guide , mon cher . — Vous me laisserez donc passer ? — Cela dépend . Oui , si c' est pour venir chez moi ; non , si vous voulez continuer votre route . — Mon cher monsieur de l' enfer , dit flegmatiquement le baron , ou vous êtes un mystificateur de bon goût , et alors je vous demanderai la permission de m' assurer si ma rapière est de même longueur que votre couteau de chasse ... — Ah ! ah ! — Ou vous êtes réellement le fils , le neveu ou un parent quelconque du diable , et dans ce cas ... — Dans ce cas ? baron ... — Voici une arme qui me délivrera peut-être de vous . Et le baron posa la main sur son front et s' apprêta à faire le signe de croix . Le veneur partit d' un éclat de rire . — Mon cher baron , dit-il , j' ai Satan pour père , mais ma mère était une demoiselle de bonne noblesse et catholique . J' ai été baptisé il y a neuf cent dix-sept ans , sous le règne de Charlemagne , dans la cathédrale d' Aix-la-Chapelle . Rengainez donc votre signe de croix . La main du baron redescendit . — À quelle condition votre seigneurie veut-elle me laisser passer ? demanda-t-il . — Je viens de vous le dire , j' ai neuf cent dix-sept ans , une belle et verte vieillesse , comme vous voyez ; mais je m' ennuie prodigieusement . Vous êtes le plus spirituel gentilhomme de la cour de France , et je me suis juré de vous avoir sous mon toit quelques jours . Pouvez -vous refuser cela à un vieillard ? — Avez -vous du vin passable , demanda Nossac avec un calme superbe . — J' ai du chambertin de 1500 , de l' aï de 1630 , du johannisberg de 1463 , et ... — Assez ! monseigneur , je vous suis . — Eh bien , dit le veneur noir , en route donc ! Et , quoique Satan , mon honoré père , me refuse un tison , nous allons avoir des torches ! Le veneur noir emboucha sa trompe , en tira une puissante et rauque mélodie , qui ressemblait assez bien à un de ces ouragans qui courbent sous leur vol bruyant les têtes frémissantes d' une forêt tout entière , et tout aussitôt les taillis environnants s' illuminèrent , et une douzaine de cavaliers , aussi rouges que leur maître était noir , surgirent , un brandon de résine enflammée à la main . « Décidément , pensa le baron , j' ai réellement affaire au diable ! » Les porteurs de torches étaient uniformément vêtus d' une casaque rouge , d' une culotte rouge , et leur visage , masqué comme celui du maître , était pareillement dissimulé sous un loup de velours rouge . À travers ce loup , le baron crut voir étinceler des charbons qui remplaçaient assez bien les yeux . — Oh ! oh ! fit-il , le veneur noir mentait ; il y a là un atome de la braise paternelle . Le coup d' œil était réellement infernal , du reste , et il fallait être aussi brave que le gentilhomme français pour n' être point effrayé à la vue de ce colosse noir environné de ces fantômes rouges , le tout éclairé par la lueur tremblotante et sinistre de la résine . Mais le cœur du baron ne battit pas une pulsation de plus , et son front demeura uni et calme . — Mon cher hôte futur , dit-il au veneur noir , je vois que vous avez une maison bien montée , et je voudrais être déjà dans votre manoir pour juger du reste . — Nous ne pouvons y arriver que ce soir . — Bah ! quand on a le diable pour père , on doit bien faire dix-huit lieues en deux heures . — Sans doute , mais mon nom vous indique suffisamment que je chasse tous les jours , et je veux chasser aujourd'hui . — Ah ! ah ! — Je compte sur votre habileté de veneur , baron ... — Vous êtes trop bon mille fois . — Mes fils font le bois , je vais les appeler . — Vous avez donc des fils ? — Quatre , baron . — Je vous croyais célibataire , monseigneur . — Vous n' avez donc pas entendu le dernier couplet de ma légende ? Et le veneur noir , de sa voix retentissante , entonna les derniers vers de ce chant étrange , qui avait appris au baron son existence et sa présence : Ce n' est point cela . Le grand veneur noir Est venu naguère heurter au manoir , Il a dit au vieux châtelain : « Ce soir , Je veux être à ta fille une nuit tout entière , — Sans doute , dit le baron en riant , mais cela ne nous dit point . — Attendez donc , fit le veneur diabolique , attendez . Et il reprit avec un timbre de joie bruyante dans la voix : Le vieux châtelain est mort de douleur , Raide on l' a trouvé , la main sur son cœur , Quand les moines au cloître ont entonné / matines ; Mais la châtelaine et le veneur noir Avaient déjà fui bien loin du manoir ; Ils s' aimaient , fit -on . – Et quand vers le soir , Résonnent au loin cloches argentines , On entend chanter dans le fond des bois Une voix puissante , une forte voix , Qui fait trembler les monts et tressaillir la plaine . Une voix qui dit : De la châtelaine Quatre veneurs tout noirs sont issus en trois fois ! — Ainsi , fit le baron avec beaucoup de flegme , votre seigneurie a quatre fils ? — Et une fille , mon gentilhomme . — Bon ! s' écria gaiement M . de Nossac , me voici rassuré ! Je comprends si peu un souper sans femmes , que je redoutais de sabler vos crus merveilleux en face de vos visages barbus et masculins . — Vous aurez une femme à votre droite , baron . — La fille de votre seigneurie ? — Oui , maître . — Ah çà , est -ce qu' elle est noire comme vous ? — Non pas , elle est blanche . — Tant mieux ! — Elle a une dot immense . — Elle est donc à marier ? — Sans doute , je vous la destine . — À moi ? — À vous , mon gentilhomme . — Ah ! par exemple , s' écria le baron , en voici bien d' une autre ! Et mes amis de Versailles s' amuseraient de me voir le gendre en perspective du fils du diable . — C' est pour cela , baron , que je vous ai dépêché un diablotin subalterne qui vous a amené ici . — C' était donc un piège ? — Du tout ; et pour preuve , si vous refusez de devenir mon gendre , il est temps encore pour vous de rétrograder . Je vous ferai reconduire à Marienwerder , et je chasserai seul . Le baron hésita une minute . — Et , dit-il , si votre fille est laide . — Si vous la trouvez telle , vous refuserez . — Ma foi , dit Nossac joyeux , du chambertin de 1500 , du johannisberg de 1463 et une jolie fille valent bien la peine qu' on tente l' aventure . J' irai jusqu' au bout ! Qu' ils viennent du diable ou de Dieu , du paradis ou de l' enfer , le vieux vin et les femmes belles n' en ont pas moins de mérite . Le veneur noir emboucha sa trompe et en tira une fanfare si puissante et si forte , que les taillis et les rochers en tremblèrent , et que les échos prochains ou éloignés la répétèrent avec un mugissant ensemble . Au moment où le dernier écho s' éteignait , la même fanfare recommença en même temps avec une vigueur pareille dans les bois environnants et dans des directions différentes ; tout aussitôt arrivèrent du sud et du nord , du levant et du couchant , quatre cavaliers noirs comme le veneur , masqués comme lui , comme lui la trompe à la bouche , dardant des yeux de flamme à travers l' ébène de leur masque . — Voici mes fils , dit le veneur . Deux étaient aussi grands que leur père , aussi bien découplés , aussi largement bâtis que lui ; seulement , sous le masque de l' un perçait une barbe déjà grisonnante , tandis que celle de l' autre était d' un noir lisse et lustré qui attestait la jeunesse . Le premier pouvait bien avoir vingt ans de plus que le second . Les deux autres , moins grands , moins forts , étaient exactement de la même taille , et ils avaient tous deux la barbe blonde . Ils étaient jumeaux . Ils s' approchèrent l' un après l' autre de leur père , s' inclinèrent devant le baron et parlèrent au veneur noir dans une langue inconnue qui ne ressemblait ni à l' allemand , ni au slavon , ni au russe , langue entièrement différente de celles que les simples mortels emploient d' un hémisphère à l' autre . — Vent-du-Nord , dit le veneur noir à l' aîné , quelle brisée avez -vous ? — Un buffle , mon père . — Et vous , Vent-du-Midi ? fit-il , s' adressant au second . — Un ours , mon père . — Et vous , Bise-d'Hiver ? continua le veneur , s' adressant à l' un des deux jumeaux . — Un sanglier , répondit Bise-d'Hiver . — Et vous , Brise-de-Nuit ? — Un élan . — Oh ! oh ! pensa le baron , voici quatre veneurs qui ont des noms singuliers . — Vous trouvez , dit le veneur noir répondant à la réflexion mentale du baron . C' est tout simple , cependant : j' ai appelé le premier Vent-du-Nord , parce qu' il a fait le bois dans la forêt septentrionale ; le second , Vent-du-Midi , parce qu' il vient du sud ; le troisième Bise-d'Hiver , parce qu' ici le vent d' hiver vient de l' ouest ; et le quatrième , Brise-de-Nuit , parce que l' haleine nocturne qui courbe les taillis arrive de l' Orient . Il a fait la brisée dans la forêt de l' est . — C' est fort ingénieux , murmura M . de Nossac . — Chacun d' eux , poursuivit le veneur , a un nom encore , mais un nom de saint que ma femme leur a donné , et qu' ils ne porteront que lorsqu' un prêtre les aura baptisés . — Ah ! ah ! — Or , dit le veneur , je n' ai pu en trouver un encore , tous les hommes qui me voient ayant l' habitude de mourir de peur . — Tiens , fit le baron , est -ce que je serais brave ? — Si brave , répondit le veneur noir , que je crois enfin avoir un gendre . Il y a dix ans que je le cherche . — Ah çà ! demanda le baron inquiet , quel âge a donc votre fille ? — Vingt-cinq ans . — Pas plus ? — C' est bien assez . — Et , continua le baron , elle est mortelle , hein ? — Hélas ! — Ah ! tant mieux ! murmura-t-il , soulagé . – Pourquoi ce tant mieux ? — Parce qu' une femme est quelquefois fort ennuyeuse au bout de huit ou dix ans , et qu' elle pourrait bien devenir insupportable , si elle était éternelle . — Soyez tranquille , dit tristement le veneur noir ; moi seul suis immortel ; mes enfants subissent la loi commune ; et pour preuve , voyez la barbe grise de Vent-du-Nord , il a quarante ans ; Vent-du-Midi n' en a que trente , aussi sa barbe est-elle noire ; Brise-de-Nuit et Bise-d'Hiver ont dix-huit ans à peine , et la leur est blonde . — Très bien ; je suis rassuré . — Maintenant , mon maître , continua le veneur noir , il est temps de chasser . Choisissez . Que voulez -vous aujourd'hui : un ours , un buffle , un élan ou un sanglier ? Le baron réfléchit . — Un ours ou un élan ; l' un et l' autre me plaisent . — L' un et l' autre , en ce cas . — En un jour ? — Parbleu ! dit le veneur en étendant la main vers l' Orient , qu' une teinte mélangée de blanc et d' opale colorait légèrement ; il est quatre heures à peine , et il ne pleuvra pas , nous avons le temps . Le baron leva les yeux à son tour vers le ciel . La voûte plombée de nuages sombres qui pesait , opaque naguère , sur sa tête s' était déchirée en mille endroits , au travers desquels apparaissaient des lambeaux de ciel bleu cendré , et les éclairs qui , jusque -là , n' avaient cessé de la sillonner , s' étaient éteints un à un comme des lampes devenues inutiles . Les torches de son fils avaient , sans nul doute , engagé Satan à faire des économies d' éclairage . — Ah çà ! s' écria M . de Nossac , jusqu' à présent , mon cher hôte , malgré tout ce qui se passe de merveilleux autour de moi , je n' ai pu croire à ce rôle de fils du diable que vous jouez si bien ; mais me voici contraint de reconnaître que vous devez être décidément un personnage surnaturel . Quand on commande à l' orage et qu' on disperse les nuées du ciel en quelques secondes ... — Il faut être le diable ou tout au moins son fils , n' est -ce pas ? — Justement . — Puisque vous voulez du surnaturel pour vous convaincre , baron , je vais vous en servir . Nous avons bien ici chevaux et veneurs , mais les chiens nous manquent . Eh bien , vous allez en voir . Le veneur noir approcha sa terrible trompe de ses lèvres , et recommença sa fanfare . Dès les premières notes , il s' éleva dans les taillis voisins et de tous côtés un ouragan sans exemple , un concert infernal d' aboiements , une sonnerie gigantesque de voix aiguës ou sonores . Le baron porta , étourdi , les deux mains à ses oreilles , et s' écria : — Vous avez donc dix mille chiens ? — Non point dix mille , mais cinq ou six cents . Voyez vous -même . En même temps qu' il s' était bouché les oreilles , le baron avait instinctivement fermé les yeux ; quand il les ouvrit , il aperçut la vallée , qu' éclairaient à demi les torches et les premières clartés de l' aube , entièrement couverte de chiens , tous couplés , divisés en quatre équipages et tenus en respect par des valets entièrement vêtus de blanc , comme les veneurs l' étaient de noir , et les porte-torches de rouge . Le premier équipage se composait de cent vingt mâtins de Finlande , zébrés de bandes noires et de bandes fauves , hauts comme des ânes , la tête carrée , les dents longues d' un pouce , et les yeux sanglants et enflammés . C' était l' équipage de l' ours . Le second , celui du buffle , avait un nombre égal de grands dogues du Cap , entièrement feu , et tout aussi hauts , quoique moins épais et plus grêles que les mâtins . Le troisième , celui du sanglier , avait été recruté parmi ces magnifiques chiens Céris de Saintonge , une des plus belles races des grands chiens d' ordre de l' Ouest . Le quatrième , enfin , qui était l' élan , était bien le plus beau , le plus imposant qu' il se pût voir . Il se composait de quatre-vingts lévriers entièrement noirs , et de cette belle espèce bretonne , presque perdue aujourd'hui , de ces grands lévriers hauts comme des chevaux corses , à la tête longue d' un pied de roi , à l' ongle crochu comme les chats , et que les barons du Moyen Âge employaient à chasser les paysans qui , réfugiés dans les bois , refusaient de se soumettre à la glèbe et à la corvée . Le veneur noir rejeta sa trompe sur l' épaule , et les chiens se turent soudain . Le baron les contemplait avec admiration . — Mon hôte splendide , dit-il au veneur noir , ne doterez -vous point votre fille de quelques-uns de ces superbes animaux ? — De tous , si vous le désirez , baron . — Morbleu ! s' exclama M . de Nossac , je me contenterai d' une pareille dot . Le roi de France me donnerait bien , pour les avoir , cinq à six de ses provinces . — En chasse , baron ! en chasse ! Voici le jour qui vient , et je ne veux point voir le soleil . — Pourquoi cela ? — Parce que nous sommes brouillés , voilà tout . — Mais si vous chassez tous les jours ? — Mes forêts sont trop sombres pour qu' il y pénètre . En chasse ! Il reprit sa trompe et se mit en devoir de sonner le départ ; mais il s' arrêta aussitôt : — Baron , dit-il , vous avez un mauvais cheval , mettez pied à terre , en voici un autre . Le baron leva les yeux et vit un magnifique étalon , blanc comme neige , caparaçonné richement et tenu en main par l' un des porte-torches . Il ne se fit point répéter l' injonction , et sauta d' une selle sur l' autre , sans toucher la terre . Aussitôt , il lui sembla qu' une force inconnue et sans pareille le vissait sur sa nouvelle monture , et que , se resserrant , l' étrier devenait un étau et lui étreignait le pied . Était -ce illusion ou réalité ? La fanfare retentit , cette fanfare colossale qui ressemblait à un tremblement de terre , les chiens furent découplés , et s' élancèrent dans la forêt , les cavaliers bondirent derrière eux ; alors le baron eut le vertige . Il frissonna une fois encore en se sentant emporté par un cheval qui paraissait , tant sa course était folle et rapide , ne point toucher la terre , et en voyant galoper à côté de lui le veneur noir et ses quatre fils s' entretenant entre eux dans leur langue inconnue . Le veneur noir avait dit vrai : ses forêts étaient sombres , et la rouge lueur des torches , qui couraient en tous sens à travers les arbres , ainsi qu' une ronde échevelée de feux follets et de fantômes , ne suffisait qu' imparfaitement à en éclairer les ténébreuses profondeurs . Les chiens menaient un train d' enfer et semblaient ne plus avoir qu' une seule et formidable voix , tant ils donnaient avec ensemble ; de temps en temps , le baron les voyait paraître et disparaître dans le lointain , suivis de près par les cavaliers vêtus de rouge , la torche au poing en guise d' épieu ou de mousqueton , et serrant eux -mêmes de très près un ours gigantesque , qui se retournait parfois mêlant un grognement terrible et sourd à leur hurlante harmonie . En même temps , la trompe à la bouche , les cinq veneurs noirs sonnaient des bien-aller non moins retentissants que la fameuse fanfare , puis le vacarme de la trompe des veneurs , uni aux aboiements de la meute , devint tel que bientôt le délire s' empara de M . de Nossac . Il crut faire un long et pénible rêve . Il assista à la mort de l' ours , il entendit l' hallali , et fit la curée de l' élan sans avoir trop conscience de ce qu' il faisait , de ce qu' il entendait , de ce qu' il voyait ... Et quand , enfin , après dix heures de cette course infernale , il vit tout à coup disparaître et s' éteindre les torches , disparaître et s' évanouir comme des ombres les cavaliers rouges qui les portaient , et succéder à la sombre voûte de feuillage sous laquelle il courait depuis le matin la voûte étoilée du ciel éclairé en plein par les rayons de la lune , il crut sortir d' un lourd cauchemar et avoir dormi un siècle . Il avait passé d' une nuit à l' autre sans voir le jour qui les séparait . Dans le lointain , sur un roc escarpé qui surplombait un torrent , était une masse gigantesque et sombre , tigrée çà et là d' un point lumineux . — Voilà mon castel , dit le veneur noir en étendant la main ; il est illuminé , et l' on vous attend . Le baron suivit des yeux la direction que prenait la main du veneur noir , aperçut et examina rapidement le castel , puis se retourna . Chiens , valets , porte-torches , tout avait disparu ! À ses côtés galopaient les quatre fils du veneur , qui lui -même marchait en avant . Qu' était devenue cette étrange cohue , ce pêle-mêle sans nom de chiens , de chevaux et d' hommes ? Cette solitude subite , ce silence instantané , succédant en quelques secondes à la foule , au tumulte , qui l' environnaient peu avant , achevèrent de dégriser le baron , et lui rendirent tout son sang-froid . « Ah çà , pensa-t-il , j' ai décidément bien affaire au diable ; il n' y a plus à en douter . Ce qui se passe autour de moi est plus que surnaturel . » Malgré leurs dix heures de steeple-chase , les chevaux ne paraissaient nullement hors d' haleine , ils galopaient toujours avec une fantastique vitesse . L' espace d' une lieue , qui séparait le château de la lisière des forêts , fut franchi par eux en dix-huit minutes environ , et ils s' arrêtèrent bientôt au bord du torrent , qui rongeait et polissait le roc sur lequel il était fièrement campé . Ce torrent était large , profond , et roulait avec un lugubre fracas . Le baron n' aperçut aucun pont d' abord : mais avec plus d' attention , il finit par remarquer un tronc de sapin jeté en travers , joignant les deux rives par son étroite superficie . — Est -ce que nous allons passer là-dessus ? demanda-t-il avec un certain effroi ; car l' eau mugissait à deux toises au-dessous avec un bruit sourd qui eût glacé d' épouvante les plus hardis . — Parbleu ! répondit le veneur noir en poussant vigoureusement son cheval , qui posa un pied assuré sur l' étroite plateforme et s' y engagea au trot . Après le père , passèrent les quatre fils . Le baron n' hésita plus : il éperonna sa monture , qui , elle aussi , passa au grand trot et sans broncher au-dessus de l' abîme . Alors , quand tous les cinq eurent touché l' autre rive , le veneur noir se retourna , et , sans quitter la selle , se baissa jusqu' à terre , comme ces écuyers du cirque qui , au galop , sans s' arrêter , ramassent un bâton dans l' arène , se cramponna d' une main au pommeau , saisit de l' autre l' extrémité du tronc de sapin , le souleva malgré son poids énorme , le balança une seconde dans le vide , puis le rejeta dans l' abîme , où il alla décrire un moulinet effrayant et s' engloutir avec un strident fracas . — Nous voici chez nous , dit tranquillement le veneur noir . Le baron admira , en frissonnant , cette force herculéenne , puis regarda devant lui . Il était sur une sorte de terrasse de deux mètres environ de largeur , au pied d' un rocher à pic supportant la masse imposante du château . « À moins que les chevaux de l' enfer n' aient des ailes , pensa M . de Nossac , l' ascension sera difficile . » Mais le veneur noir reprit la tête du cortège , fit dix pas à gauche , et se trouva à l' entrée d' une sorte d' escalier à marches étroites , presque perpendiculaires , qu' un piéton n' eût gravi qu' en se signant à plusieurs reprises avec dévotion . Néanmoins , le cheval du fils du diable posa résolument les pieds de devant sur la première marche , puis sur la seconde , et commença à monter d' un pas rapide , arrachant au roc poli des myriades d' étincelles , sans jamais broncher , et comme si des crampons d' acier eussent subitement poussé à ses sabots garnis de fer . « Bon ! pensa le baron , qui commençait à se familiariser avec cette succession de prodiges , il paraît que mon hôte tire ses chevaux des écuries de son père . L' enfer seul en peut produire de pareils . » Cette fois , au lieu de fermer le cortège , il devança les quatre fils du veneur noir et s' avança après lui vers la première marche du raide escalier . Le cheval monta sans nulle hésitation . « Il y est habitué » , se dit M . de Nossac . L' escalier avait deux cent quatre-vingt-dix-sept marches . Les chevaux les gravirent en dix minutes , et bientôt le baron et ses hôtes se trouvèrent sur une deuxième plate-forme , de laquelle surgissaient les murs du château . C' était un gothique manoir , avec fossés profonds taillés dans le roc vif , tourelles élancées et pointues , sveltes clochetons , ogives nerveuses et fines , créneaux noirs et lourds , beffroi gigantesque , toiture moussue , murs épais , mâchicoulis formidables , girouettes rouillées grinçant en pleurant aux brutales caresses du vent nocturne , écusson gravé sur le fronton de la porte principale , et souterrains longs d' une lieue , creusés à travers la roche et correspondant mystérieusement avec les forêts et les plaines d' alentour . Le baron , qui se piquait d' archéologie , examina attentivement le château et le trouva assez pur de style , à l' exception toutefois de quelques anachronismes légers qui disparaissaient assez bien dans l' ensemble . De nombreuses lumières brillaient derrière les vitraux de couleur des fenêtres ogivales . Des ombres opaques ou demi-diaphanes passaient et repassaient rapides derrière ces mêmes vitraux . Mais aucun bruit , aucun souffle , aucune parole , n' annonçaient la vie et le mouvement à l' intérieur . Le château était silencieux comme une tombe . Le veneur noir s' arrêta devant le pont-levis , qui était relevé , emboucha la trompe , et en tira les trois appels usités au Moyen Âge parmi les chevaliers errants qui demandaient l' hospitalité à une heure avancée de la nuit . La herse du pont s' abaissa en criant , et le veneur passa . Ils arrivèrent tous les cinq dans la cour du manoir : la cour était déserte . Le veneur mit pied à terre , ses fils l' imitèrent , et le baron fit comme eux . — Venez , baron , dit le veneur en le prenant par le bras . Je meurs de faim . Il sembla à celui -ci que la main du veneur était brûlante et l' étreignait comme un étau . Il se laissa entraîner , et gravit côte à côte avec lui les marches du perron . Les quatre veneurs montèrent derrière eux . — Et les chevaux ? demanda tout à coup le baron en se retournant . Les chevaux avaient disparu , sans qu' aucun palefrenier s' en emparât . « Morbleu ! pensa M . de Nossac , mon aventure prend des proportions telles , que si jamais je la conte à Versailles , Richelieu lui -même n' y voudra point croire . » La porte du manoir s' ouvrit lentement comme s' était abaissé le pont-levis , sans que nul parût . Le veneur noir en franchit le seuil , tenant toujours le baron par le bras , et ils entrèrent dans un immense vestibule éclairé par quatre torches fixées au mur . Au milieu était un large escalier à marches de marbre noir semées de larmes blanches comme le champ d' armes de l' écusson . Le veneur noir et son hôte gravirent cet escalier , prirent à droite , arrivés au premier repos , ils entrèrent dans une pièce non moins vaste que le vestibule , pareillement éclairée et tendue de noir avec des larmes d' argent . Ils traversèrent cette pièce , puis une autre et une autre encore tendues de même couleur , et ils arrivèrent ainsi à la salle à manger du manoir . Cette pièce était , tout au contraire des autres , tendue de blanc avec des larmes noires . — La variété lacrymale me plaît , murmura le baron . Au milieu de cette pièce était dressée une table somptueuse sur laquelle fumaient les mets les plus exquis et miroitaient des vins si clairs , si brillants de coloris , qu' il était facile de voir que le châtelain n' avait point menti sur la date . Aucun valet ne se présentait , la salle était déserte , seulement , dans un coin , sur une estrade de velours noir , était un cercueil . À sa vue , le baron fit un pas en arrière et frissonna . — C' est le cercueil de ma femme , dit froidement le veneur noir . — Elle est donc morte ? — Depuis dix ans . — Et ... elle est là ? — Oui , sans doute : voyez . Le veneur entraîna le baron , qui le suivit sans résistance ; il le conduisit vers le cercueil et souleva le drap mortuaire . Une femme , jeune à en juger par l' ébène de sa chevelure ruisselant en boucles lustrées sur la neige du linceul , belle si l' on examinait le bas du visage , car un masque pareil à celui des veneurs en cachait la partie supérieure , était couchée immobile et froide dans le cercueil . On eût dit qu' elle dormait , tant son bras avait conservé de molle souplesse dans les articulations , tant , sous sa peau transparente , étaient visibles encore ses veines bleues , qui paraissaient renfermer un sang en pleine circulation . — Mais elle n' est point morte ! c' est impossible , exclama le baron . — Elle est morte depuis dix ans . — Dix ans ! Et elle est ainsi conservée ? — C' est mon père qui l' a embaumée . — Mais quel âge avait-elle donc ? — Soixante-dix ans . — On lui en donnerait à peine trente ! — Mon père l' a refaite ainsi en l' embaumant . Il était de belle humeur ce jour -là . — Et vous la laissez là ? Vous ne l' inhumez point ? — Non , dit le veneur ; car il faut pour la porter en terre une main de chrétien . — Vous l' êtes , il me semble ? — À moitié seulement . Il faut un chrétien tout pur ; j' ai songé à vous . Nossac frémit , et se regarda dans une glace de Venise placée en face de lui . Il était fort pâle et ses lèvres tremblaient . — À table , baron , dit le veneur noir , j' ai faim . Nossac se dirigea vers la place que lui indiqua son hôte . Les quatre fils se placèrent les uns à côté des autres , et alors le baron remarqua qu' une place était vide à côté de lui et une autre à côté du veneur . La porte s' ouvrit au même instant ; une femme entra . C' était une jeune fille de vingt-quatre à vingt-cinq ans , blonde dorée , éblouissante , avec de grands yeux bleus emplis d' une vague et suave langueur , une bouche rose , mignonne , garnie de perles ; de petites mains frêles , diaphanes , effilées , un pied de fée qui effleurait le sol à peine ; une taille souple , svelte , pleine d' amoureuses ondulations ... À sa vue , le baron poussa un cri d' admiration , oublia ses terreurs de la journée , le veneur noir , ses fils silencieux et mornes , ce cercueil placé en face de la table , comme pour leur enlever l' appétit et leur défendre toute joie . Il ne vit plus , il n' entendit plus que la jeune fille , qui fit le tour de la table et alla poser ses lèvres roses sur le front d' ébène de son père en lui disant : — Bonjour , cher veneur noir , mon père . Puis elle alla à chacun de ses frères , leur mit également un baiser au front , en leur disant bonjour par leur nom ; elle s' inclina profondément ensuite devant le baron , et revint s' asseoir à la droite de son père . — Voilà votre femme , dit le veneur noir . Le baron crut voir , au milieu de ses hôtes infernaux , le ciel s' entrouvrir devant lui ; mais son ivresse fut glacée et refoulée soudain au plus profond de son cœur par une voix qui retentit , à l' extrémité de la salle , fraîche , sonore , quoique emplie d' un accent railleur . Le baron leva vivement les yeux , vit le drap mortuaire qui recouvrait le cercueil soulevé et la défunte assise sur son séant : — Baron de Nossac , disait la morte , puisque vous devez me porter en terre , vous ne refuserez pas de me servir de cavalier ce soir et de me conduire à table ; venez me donner la main . Le baron sentit ses cheveux se hérisser tandis qu' une sueur froide inondait ses tempes . Vainement il appela à son aide sa présence d' esprit et son sang-froid , et il fût inévitablement tombé à la renverse , si son œil éperdu n' eût rencontré l' œil fascinateur , l' œil céleste et suppliant de la jeune fille , qui semblait lui dire : « Obéissez ! » Alors il sentit son effroi s' en aller , il se leva et marcha résolument vers la morte , qui descendit impassible et raide de son cercueil , et il s' inclina devant elle avec une courtoisie qui sentait le meilleur temps de Versailles . — Merci ! dit la trépassée en plaçant sa main glacée dans la main du baron , qui tressaillit et frissonna de nouveau à ce contact . La trépassée s' appuya sur le bras tremblant du baron , et marcha vers la place vide qui lui était sans doute réservée , avec la lente raideur d' un automate . Elle s' assit à la droite de son cavalier , et lui dit : — À table , monsieur le baron : votre appétit a dû être mis à l' épreuve une journée de chasse . — En effet , balbutia M . de Nossac . Le veneur noir prit alors son couteau de chasse qui pendait encore à son flanc , dépeça avec une habileté prodigieuse le quartier de venaison qui fumait sur la table ; puis en envoya un morceau à chacun des convives , commençant par le baron , suivant la mode hospitalière d' Allemagne , au lieu d' obéir à l' usage français et de servir les dames tout d' abord . M . de Nossac était ému , sans doute , mais la terreur ne le dominait jamais assez complètement pour lui enlever sa dernière parcelle de sang-froid . Il s' aperçut donc de ce manque de galanterie , et le corrigea de son mieux en offrant son assiette à sa voisine la trépassée . — Merci ! répondit-elle d' une voix glacée . Elle plaça l' assiette devant elle , mais n' y toucha pas . Cinq minutes après , l' un des fils de la morte , celui qui se nommait Vent-du-Nord , et qui était le plus vieux , se leva gravement et vint enlever l' assiette pleine encore , qu' il remplaça par une autre également chargée . Le baron de Nossac croyait rêver , et n' eût été le rayonnant visage de la jeune fille qui lui souriait de temps en temps d' un air ingénu et candide , il eût certainement douté de sa propre existence . Le repas avait une couleur funèbre , en parfaite harmonie avec les tentures de la salle et ses étranges hôtes . Le veneur noir mangeait avec une gloutonnerie tudesque , ses fils l' imitaient assez bien ; seule , la jeune fille effleurait à peine son verre et les mets qu' on lui servait , comme un oiseau coquet et mignard qui , se trouvant dans la même volière que des hiboux voraces , des orfraies affamées , leur voudrait donner une leçon de délicatesse et de savoir-vivre en picorant à peine çà et là quelques menus grains de mil . Quant à la châtelaine trépassée , elle ne mangeait pas ; mais chacun de ses fils venait à tour de rôle renouveler son assiette et changer son verre . Le baron , un moment dominé par la terreur , reprit peu à peu son sang-froid railleur et finit par en revenir à son idée première , c' est-à-dire qu' il était le jouet d' une mystification terrible qu' il lui fallait supporter à tout prix d' abord , afin d' en triompher ensuite . Aussi , le doux regard de la jeune fille l' aidant , il prit la parole le premier et dit au veneur noir : — Vous êtes , mon cher hôte , silencieux comme la tombe de madame la châtelaine . — Vous trouvez ? fit le veneur d' un ton farouche , qui donna à comprendre au baron que la plaisanterie était déplacée . En même temps , quatre éclairs jaillirent simultanément des quatre masques des fils du veneur , et le front de la jeune fille s' assombrit d' une mélancolie grave et triste . Le baron comprit qu' il avait fait une faute , et se tut . Mais la trépassée , qui gardait le silence depuis dix minutes , jugea de son goût de le rompre , et elle dit au baron : — N' êtes -vous pas veuf , monsieur de Nossac ? À cette brusque question , faite d' un ton railleur , le baron tressaillit et jeta un regard effrayé à la trépassée . Sous le masque de celle -ci , bruissait un rire sourd et moqueur , tandis que ses yeux froids et ternes comme des yeux de mort , reluisaient ainsi que des poignards au travers de ce même masque . M . de Nossac rencontra ce regard glacé , et son tressaillement redevint de la terreur : — Où avez -vous pu apprendre ... balbutia-t-il . — Les morts savent tout . — C' est juste , murmura le baron ; mais cependant ... — Et je connais même votre femme . M . de Nossac fît un soubresaut , et , pâle , la voix étranglée , il se fut , sans nul doute , levé de table , si la main glacée de la trépassée ne se fût appuyée sur la sienne pour le retenir . — Restez donc ! fit-elle avec lenteur , vous êtes pétulant comme tout gentilhomme de la cour de France , et vous oubliez que nous sommes ici sur les frontières de Hongrie . La sueur de l' angoisse perlait aux tempes du baron ; il écoutait la voix de la trépassée avec cette attention morne et désespérée d' un condamné écoutant sa sentence de mort . À mesure que cette voix bruissait , métallique et raide comme le timbre d' airain d' une horloge , il lui semblait qu' il l' avait entendue quelque part . — Vous êtes veuf d' une femme assez belle , disait -on à Paris , poursuivit la trépassée , et qui même vous a laissé une grande fortune , dit -on encore . Le baron tremblait de tous ses membres et regardait la morte avec stupeur . — Ne vous étonnez point de me voir si bien instruite , monsieur le baron ; mon époux que voilà a dû vous dire que j' étais la bru de Satan , et Satan sait tout , comme bien vous pensez ... M . de Nossac ouvrit la bouche et voulut parler , mais aucune parole ne put se faire jour à travers sa gorge crispée . La châtelaine défunte continua : — La baronne de Nossac , votre femme , a , paraît-il , fait un singulier testament . Elle vous a imposé , dit -on , l' obligation de vous remarier dans le délai de deux années , sous peine de voir sa fortune retourner à ses héritiers naturels . Cette fois le baron n' y tint plus , et l' œil hagard , le visage contracté par la peur , il s' écria : — Êtes -vous la baronne elle -même , qui vient me reprocher ma lâche conduite , et sort de la tombe pour me railler ? La trépassée répondit par un éclat de rire : — Mon cher baron , dit-elle , je commence à croire que le remords vous trouble assez fort l' esprit pour vous montrer en moi cette femme ... — Vous avez sa voix ... — Vous trouvez ? Et le rire moqueur et glacé de la morte bruit de nouveau avec un timbre lugubre dans cette salle funéraire . Une fois encore le baron voulut se lever et fuir , mais la main de la morte le cloua immobile sur son siège . — Baron , fit la châtelaine , vous êtes fou , et je vous pardonne , en considération du lieu où vous êtes ; mais croyez bien une chose , c' est que si j' étais votre femme , comme vous le prétendez , j' aurais ôté mon masque déjà pour vous montrer mon visage ... La reconnaissance serait au moins curieuse . La trépassée allait au-devant de l' objection , qui errait sur les lèvres du baron . Mais M . de Nossac était , avant tout , l' homme des interpellations brusques et de la spontanéité : — Madame , demanda-t-il , pourquoi ne l' ôtez -vous point pour me rassurer ? — Parce que je ne le puis , ni mon époux ni mes fils ... — Et ... pourquoi ? — Si vous avez bien réfléchi aux sinistres paroles de la légende du veneur noir , vous aurez remarqué que la vue du veneur frappe de mort tout ce qui est humain . — Je l' admets pour le veneur et ses fils ... mais vous ... — Mon époux m' a communiqué le même et fatal privilège . — Mais votre fille ? — Ma fille seule est exempte de ce don funeste . C' est une bizarrerie de son aïeul , qui l' a voulu ainsi . En revanche , si jamais nous nous démasquions devant elle , elle mourrait sur le coup . — Cordieu ! s' écria le baron , réussissant enfin à dominer complètement son effroi , et pris soudain d' un accès d' audace chevaleresque , je veux avoir le cœur net de tout cela . Si mademoiselle ... ( et il désigna la fille ) si mademoiselle veut consentir à s' éloigner , je demande moi , à vous voir tous les six le masque bas , et je m' engage à vous regarder en face , votre visage fut-il aussi effrayant que celui de Satan lui -même . — Prenez garde , baron , murmura la morte , dont la voix railleuse timbra soudain d' une nuance de menace . — Je m' appelle Nossac , répondit fièrement le baron . Le veneur noir et ses quatre fils échangèrent un menaçant regard , mais ne dirent mot . — Eh bien , dit la trépassée , offrez votre main à ma fille , et conduisez -la dans la pièce voisine ; vous reviendrez seul ... si vous l' osez ! Ne l' eût-il point osé deux secondes auparavant , que M . de Nossac s' en fût senti le courage maintenant qu' il avait à toucher la main de cette éblouissante jeune fille dont le sourire l' enchantait . Il se leva donc résolument , alla vers elle , et lui offrit son bras . La jeune fille avait soudain pâli , mais la morte lui dit impérieusement : — Allez ! Et elle se leva à son tour et mit sa main blanche dans les mains du baron . Cette main tremblait . — Venez , mademoiselle , dit Nossac , dont la voix s' altéra de nouveau sous le poids d' une indicible émotion . Et il marcha lentement , comme s' il eût voulu prolonger le plus possible ce trajet si court et sentir la main de la jeune fille dans sa main . Ils sortirent ainsi de la salle , et entrèrent dans la pièce voisine . Là , Nossac s' arrêta , hésitant . — Venez , venez , murmura la jeune fille en l' entraînant encore , allons un peu plus loin ! Ils traversèrent la deuxième pièce , et pénétrèrent dans la troisième . Dans celle -là était un vaste sofa en velours noir parsemé , comme les tentures , de larmes blanches . Le baron y conduisit sa compagne , l' y fit asseoir , puis recula d' un pas pour la saluer . Soudain la jeune fille joignit les mains avec un geste de prière : — N' y allez pas ! murmura-t-elle . Un fin sourire glissa sur les lèvres du baron . — J' irai , dit-il . — Vous en mourrez ... — En êtes -vous bien sûre ? — Oui ! oui ! — Eh bien , écoutez -moi . — Que voulez -vous ? fit-elle avec un regard charmant de coquetterie suppliante . — Vous a-t -on dit que j' étais l' époux qu' on vous destinait ? — Oui . — Cela vous afflige-t-il ? La jeune fille hésita . — Non , dit-elle enfin . — M' aimerez -vous ? Elle hésita encore . — Je ne sais pas , fit-elle . — Eh bien , si vous ne voulez pas , quelque grand , quelque terrible que soit le danger , si vous ne voulez pas que j' y succombe , dites un seul mot . Elle le regarda étonnée . — Un mot qui me serve de talisman , un mot qui me couvre comme une égide , reprit-il avec feu . Elle le regarda une fois encore , mais son étonnement avait fait place à la prière : — N' y allez pas ! fit-elle . — Je serais un lâche si j' hésitais . — Mais vous allez à la mort ! — Peut-être , si vous me refusez ce mot . Non , à coup sûr , s' il s' échappe de vos lèvres ... — Eh bien ! fit-elle en prenant sa main ... eh bien ! ... Elle s' arrêta et rougit . — Eh bien ? interrogea-t-il avec angoisse . — Eh bien , reprit-elle , monsieur le baron de Nossac ... Une fois encore , elle s' arrêta , pleine d' hésitation . — Oh ! dites ! demanda le baron , joignant les mains avec un geste et un regard suppliants . — Je vous aime ! murmura-t-elle en cachant son front dans ses doigts entrelacés . — Merci ! s' écria le baron . Il entoura sa taille avec son bras , mit sur ce front qui rougissait un baiser ardent ; puis , la main à la garde de son épée , la tête haute et fièrement renversée en arrière , il marcha d' un pas ferme vers la salle du festin , où l' attendaient ces terribles convives , et , arrivé à la porte , il la poussa sans hésiter . Le veneur noir et ses quatre fils avaient mis bas leurs masques , la châtelaine pareillement . Mais le baron les eut à peine dévisagés , qu' il poussa un cri , posa la main sur son cœur , et s' appuya au mur , défaillant et pâle ... Il avait sous les yeux six faces de squelettes , six têtes de mort placées sur des épaules vivantes , en apparence du moins , six têtes qui grimaçaient et se contractaient affreusement , les unes sous une chevelure blonde , les autres sous des cheveux noirs ou gris , l' une enfin , celle de la trépassée , sur un cou de cygne , blanc , pur de formes , de contours et de mouvements , sous la plus soyeuse et la plus belle chevelure qui ait couronné un front de femme . Mais ce qu' il y avait surtout d' effrayant , c' étaient ces yeux ardents qui brillaient au travers de ce visage décharné et rongé à demi par les vers du cercueil ; ces yeux , qui se levèrent simultanément avec une expression de menaçant et railleur défi sur le baron , qui osait affronter ainsi un pareil spectacle . — Vous êtes pâle et vous frissonnez , baron ... dit la morte avec ses lèvres de squelette . Le baron frissonnait et était pâle , en effet ; mais le défi , de quelque bouche et de quelque lieu qu' il vienne , est un stimulant tout puissant ; et le baron releva soudain la tête et répondit : — Je pâlis et je frissonne si peu , madame , que je veux achever de souper avec vous ! Et il s' avança vers la table avec une stoïque assurance , et reprit la place qu' il occupait naguère . Les six squelettes se regardaient avec un étonnement mêlé d' admiration . Le courage du baron devenait presque de la folie . — Baron , dit la trépassée en laissant passer un rire funeste au travers de ses lèvres décharnées , je vous fais amende honorable , vous êtes un preux chevalier . – Vous êtes mille fois trop bonne , madame , répondit Nossac , et si le proverbe : Conseil vaut éloge , est de quelque justesse , je me permettrai de vous faire une légère prière . — Ah ! fit la morte , voyons ! — Prenez le bout de votre serviette , madame ... — Bien . Après ? — Vous avez un ver sur la joue . Un éclair de colère jaillit des yeux des cinq veneurs noirs . Mais le baron , qui s' exaltait dans la peur comme dans l' intrépidité , le baron , muet et glacé peu avant , et maintenant dominant en maître la situation , le baron s' écria avec un éclat de rire aussi railleur que le ton de la trépassée : — Vous voulez jouer au terrible et à l' épouvantable avec moi , messieurs les damnés et les revenants ; j' essaie , vous le voyez , de me mettre à votre niveau . — Boirez -vous , demanda le vieux veneur en ricanant , oserez -vous boire et manger ? — Si vous me laissez de quoi , oui , vraiment ; car tudieu ! mes maîtres , tout trépassés que vous êtes tous ... — Vous vous trompez , baron , dit le veneur noir , mes fils et moi , sommes bien vivants . — Alors , pourquoi ces faces décharnées ? — Parce que mon père , Satan , a aimé ma mère après sa mort . Le baron tressaillit légèrement , mais il se remit aussitôt : — Ce doit être une curieuse histoire , dit-il , sans rien perdre de son accent de persiflage . — Et que je suis prêt à vous conter , mon maître . — Je suis tout disposé à l' entendre . Mais d' abord , mon cher hôte , versez -moi du vin . Au train dont vous allez , vous et vos fils , il se pourrait bien faire que les flacons fussent vides avant peu . C' est ce que je voulais dire tout à l' heure . — Buvez , mon maître ; et quand les flacons seront vides ... — Vous en aurez d' autres , n' est -ce pas ? — Sans doute . — Vidons -les , alors ; car je serais curieux de voir enfin vos serviteurs . Jusqu' à présent ... — Vous en êtes aux conjectures , voulez -vous dire ? — Précisément . — J' emprunte mes domestiques à mon père . — Ah ! très bien . Voyons l' histoire . Le veneur approcha son verre empli jusqu' au bord de ses lèvres de squelette , et , tandis que le baron lui faisait raison en s' inclinant devant la trépassée , il s' exprima ainsi : — J' ai dû vous le dire , je suis né sous le règne de Charlemagne . Ma mère vivait à cette époque . Ma mère était une demoiselle de fort bonne noblesse et d' un esprit accompli . En ce siècle d' ignorance où elle vivait , alors qu' on tirait vanité de ne savoir point écrire , ma mère parlait et écrivait plusieurs langues , l' hébreu et le syriaque entre autres . » De plus , ma mère était incrédule à l' endroit de plusieurs dogmes de la loi chrétienne ; elle doutait entièrement de l' existence du diable , et par suite , de celle de l' enfer . En vain son chapelain lui prêchait-il matin et soir de fort beaux discours sur le lieu de supplices et d' expiations éternelles où mon père préside , en vain encore sa mère , pieuse femme , lui disait-elle : « Ma fille , tu seras damnée , pour punition de ne point croire à l' enfer » , ma mère souriait et haussait les épaules . Satan , mon père , écoutait ces paroles impies , et riait à son tour ; mais ma mère était si belle , qu' il se prenait à souhaiter parfois d' être un simple mortel pour l' épouser et l' aimer . Or , il se dit un jour qu' il lui était facile d' arriver à ce résultat en prenant une forme humaine . Il se logea dans le corps d' un chevalier assez bien tourné et de belle taille , qui venait de se faire occire dans une bataille livrée aux Sarrasins , et il se présenta chez la demoiselle , après lui avoir envoyé toutefois son écuyer Séduction , porteur de riches et rares présents . Mais la demoiselle était vertueuse quoique incrédule , et mon père n' y put rien . Elle demeura vierge en dépit de tout . « Heureusement , pensa mon père , que la petite sera damnée , et qu' elle mourra un jour ou l' autre . » » Les prévisions de mon père se réalisèrent . Un jour , en allant assister à un tournoi que donnait le roi Charlemagne , ma mère , montée sur une haquenée blanche , passa auprès d' une vieille tour , qui tombait en ruines et branlait au vent ...